Hatice Özer, jeune comédienne française issue d’une famille turque qui a immigré en France a conçu, écrit et mis en scène son premier spectacle. Elle commence seule sur scène en nous racontant un cauchemar récurrent : elle est en pleine mer entourée de cadavres qui flottent, tous ont le visage de son père et les traits de ce visage s’effacent peu à peu. Récit hautement symbolique des raisons pour lesquelles elle a créé ce spectacle : la peur de voir disparaître toute la culture de son père, Yafuz Özer, ferronnier mais aussi conteur, chanteur et joueur de saz, le luth oriental, qui a quitté l’Anatolie sans espoir de retour pour offrir un avenir meilleur à sa famille.

Après le récit du cauchemar, elle établit en silence tout un cérémonial qui nous plonge dans un autre espace et une autre culture. Pour préparer la venue de son père, elle recrée à l’aide de sable ocre le cabaret oriental (khâmmarât en arabe, lieu où l’on boit et l’on chante) et prépare le thé en nous invitant à le partager comme elle va nous faire partager ce moment d’échange entre son père et elle. Elle entre au cabaret ce qu’elle n’a osé faire enfant et lui entre dans le monde du théâtre. Ainsi en mêlant les arts, Hatice Özer rompt le silence qui la séparait de son père et d’une partie de son histoire.

Le père entre alors en scène, il s’approche presque à pas hésitants (Peur de déranger ? Ne pas être à sa place?). Il nous raconte une histoire que sa fille nous traduit en partie, elle parle le turc « comme une enfant de six ans » et lui très peu le français. Il s’empare de son saz jusque-là suspendu au-dessus de la chaise par respect pour l’instrument qui ne doit pas toucher le sol. C’est alors que surgissent les moments très émouvants d’échanges entre le père ashik exilé qui chante et conte les histoires de son pays et sa fille pleine d’humour, de tendresse et d’admiration. Malgré la retenue de ce père empli de la nostalgie de sa terre natale, la complicité entre ces deux êtres est palpable. Jouer et écouter ces histoires en chansons, c’est pour lui comme pour elle, et pour nous aussi, chanter l’exil, conter et recevoir ces récits faits de 60 % de vérité, de 30 % de mensonge et de 10 % de mystère. Ainsi se racontent les transformations, la perte des traditions, les apports de la culture d’origine du pays natal et de celui d’accueil qui passent d’une génération à l’autre parfois dans la tristesse et souvent dans le rire. Le père, par le chant de l’exil et les histoires drôles inspirées du poète du XIII siècle, Nasrettin Hoca, dit son mal du pays et le déracinement. Il transmet et perpétue une culture et répond aux questionnements de sa fille qui a peur d’oublier et que s’efface à jamais l’héritage des traditions anatoliennes et ses rituels .

Finalement et comme le reconnaît Hatice Özer, le théâtre est aussi présent dans la culture anatolienne : la manière de pleurer les morts, de transmettre les histoires en forme de contes dans lesquels il est difficile de distinguer le vrai du faux. Elle gardera de son père ses chants ne pouvant pas lui rentre son retour au pays.

Mélancolie, tristesse et finalement joie de partager nous sont offertes sous la forme d’une scène musicale et théâtrale au parfum de nostalgie et de respect réciproque des cultures

échangées. C’est le chant du père dans un champ de fleurs aux effluves apaisants.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 21 janvier (ven 19 à 14h30, sam 20 à 16h30, dim 21 à 15h30) à la MC93, 9 bd Lénine à Bobigny- Réservations : 01 41 60 72 72 ou reservation@mc93.com – le 25 janvier, Le Dôme Théâtre à Alberville (74) – le 13 février, La Mégisserie-Centre culturel à Saint-Junien (87) – les 21 et 22 mars à NEST-CDN transfrontalier de Thionville- Grand Est à l’Arche-Villerupt (57) – du 22 au 29 mai au Théâtre national de Strasbourg (67)

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