Varsovie en quatre époques qui se croisent. Tout commence dans les années 1990. Une femme de diplomate, Blanche, se perd dans les rues de la ville. Une exposition de photos la conduit sur les traces effacées du Ghetto et sur le souvenir d’un mystérieux cartographe. Années 1940 : le cartographe transmet à une petite fille une technique artisanale de la cartographie et la charge de faire la carte du Ghetto. Elle ne se contente pas d’y porter les noms des rues. C’est toute la vie du Ghetto asphyxiée par les Nazis qu’il faut décrire, les boutiques, les lieux où on peut encore trouver quelque chose à manger, les gens qui tentent de survivre, qui meurent de faim, la place d’où partent des trains emmenant ceux qui sont encore valides vers on ne sait où. Une carte qu’il faudra faire passer à l’extérieur pour perpétuer le souvenir du ghetto. Années 1960 puis années 1980 : une cartographe comprend à ses dépens que la cartographie est politique et que les États veulent être maîtres des cartes. Cette femme pourrait-elle être la petite fille du ghetto ou cette histoire n’est-elle qu’une légende ?

Il y a d’abord dans ce spectacle un beau texte de Juan Mayorga, déjà connu en France par sa pièce Le garçon du dernier rang adapté au cinéma par François Ozon. L’enquête que mène la femme de diplomate sur les traces du cartographe et de la petite fille conduit le spectateur à s’interroger sur ce que représente une carte. À Varsovie même si les noms des rues subsistent, du Ghetto, qui fut un lieu plein d’enfants et de vie, ne reste qu’un fantôme. En en dessinant la carte, la petite fille, dont l’image subsiste sur une photo avec ses crayons, devait en perpétuer le souvenir. Mais son travail, qui ne pouvait que nuire à l’image de l’Allemagne nazie, devait rester secret. Pour la femme des années 60 son travail de cartographe est considéré comme un emploi sensible et elle doit être au service du régime. Toute liberté lui est refusée, elle est même encouragée à produire de fausses cartes.

La mise en scène de Hervé Petit nous accompagne dans ce labyrinthe du souvenir. Les dates s’affichent comme des repères, un peu de musique accompagne le passage d’une scène à l’autre. Au centre l’espace de la femme du diplomate un peu perdue, pas tant géographiquement dans cette ville inconnue, que dans ses souvenirs emplis de tristesse, l’espace aussi des rencontres de la femme des années 1960 puis 80 avec ses contrôleurs politiques. Côté jardin se déroulent les rencontres entre la petite fille et le vieux cartographe.

Le metteur en scène a su rassembler un groupe de comédiens qui emportent le spectateur dans la réflexion et les émotions. On retient particulièrement Charlotte Pradeilles, une Blanche véritable boule de sensibilité qui s’engage corps et âme dans cette histoire, alors qu’elle n’est ni juive ni Polonaise comme le lui dit son époux, attaché d’ambassade (très bon Nicolas Thinot, de plus en plus vulnérable face à l’entêtement de Blanche). Myriam Allais est la cartographe des années 60 et 80, déterminée et tenant tête aux autorités politiques. Céline Rotard Prineau est la petite fille, sorte de gavroche qui se faufile au nez des Nazis pour accomplir sa mission, tout en s’arrangeant pour réussir à trouver un peu de nourriture pour le vieux cartographe (René Hernandez).

Une pièce pleine de suspense et d’émotion qui nous interroge. Que représente une carte ? Pas seulement des lieux, elle est aussi la trace du temps qui passe et un piège à émotions. « Une carte prend toujours parti » dit l’auteur.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 19 décembre au Théâtre de l’Opprimé, 78-80 rue du Charolais, 75012 Paris – du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 17h, matinées les 10, 14 et 16 décembre à 15h – Réservations : 01 43 45 81 20


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