Musique, ambiance de fête foraine, un néon rose annonce « Le bonheur », un homme tout de blanc vêtu avec une veste et des bretelles sur son torse nu annonce les girls et Fox, l’homme sans tête. Des passants se croisent que l’on va retrouver quand la fête foraine se transforme en appartements, en
cafés, en cabaret, en meeting politique au gré des histoires qui se répondent et dressent un portrait critique de l’Allemagne des années 70 et 80, celui que peint Rainer Werner Fassbinder, le célèbre dramaturge et cinéaste allemand mort en 1982 à 37 ans.
Parmi les 40 films réalisés en dix ans par Fassbinder, le metteur en scène Pierre Maillet a choisi de croiser trois grands films réalisés entre 1972 et 1977 qui dénoncent avec force les préjugés régnant en Allemagne.
Dans le premier des films, Le droit du plus fort, Frantz un forain, qui a perdu son emploi mais gagné le gros lot à la loterie, tombe amoureux d’Eugen, fils d’un industriel au bord de la ruine. Avec Eugen, Frantz découvre peu à peu le mépris de classe et se retrouve dépouillé par son amant qui lui a fait renflouer l’affaire familiale et s’est fait offrir un appartement. Pour Frantz jeté à la rue il ne reste plus qu’à mourir. Aucune pitié dans la société que dénonce le film de Fassbinder, puisque ce sont des pauvres qui finiront de dépouiller Frantz en lui volant ses vêtements.
Dans le second, Maman Kusters s’en va au ciel, le mari d’Emma Kusters, parce qu’il allait être victime d’un licenciement collectif, s’est suicidé dans son usine après avoir tué le fils du patron. Autour d’elle nombreux sont ceux qui vont tenter d’exploiter le fait divers, la presse pour faire des gros titres, la fille d’Emma pour servir sa carrière de chanteuse qui peine à décoller, le parti
communiste pour obtenir plus de voix aux élections, les anarchistes pour soulever les masses. Au milieu de tous Maman Kusters lutte pour garder la vérité de son défunt mari.
Dans le dernier, Tous les autres s’appellent Ali, Emmi, veuve d’une soixantaine d’années, rencontre dans un café fréquenté par des étrangers où elle s’est réfugiée pour échapper à la pluie, un ouvrier marocain, Ali. Elle l’accueille chez elle, et bien qu’il ait trente ans de moins qu’elle, l’épouse, suscitant la colère de ses enfants et les quolibets des compagnons de café d’Ali.
Pierre Maillet ne se contente pas de mettre bout à bout les scenarii des trois films. Il en réalise un montage qui va chercher dans tous leurs recoins les obsessions du cinéaste. Tous les héros sont rejetés par cette société qui finit par les dépecer. On retrouve d’une séquence à l’autre des personnages, des situations différentes qui pourtant semblent se répondre. Il y a toujours ce bar où règne une barmaid, tantôt excitée, tantôt lasse, et où se rejoignent les solitudes de ceux que la bonne société allemande laisse de côté. On retrouve des traits de Maman Kusters dans Emmi, d’autant plus que c’est la magnifique Marilu Marini qui les interprète toutes deux. Enfin, on voit passer la même faune de petits-bourgeois étriqués, mesquins, intéressés, pour qui le mot fraternité n’a aucun sens, interprétés par l’équipe d’acteurs jeunes et énergiques choisis par Pierre Maillet.
S’il est fidèle à la portée politique de l’œuvre de Fassbinder, Pierre Maillet ne se laisse pas entièrement emporter par son ambiance sombre entre désespoir et désillusions. Une touche de musique, une note d’humour qui suscite le sourire, des costumes qui surprennent et l’on sait que si le bonheur n’est pas toujours drôle, la détermination de Maman Kusters ou d’Emmi pourrait ouvrir
d’autres perspectives.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 11 juin à 19h30 au Théâtre Le Monfort – 106 rue Brancion, 75015 Paris –
Réservations : 01 66 08 33 88 ou www.lemonfort.fr

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