Nicolas Liautard s’était déjà attaché à La République de Platon. En compagnie de Magalie Nadaud, il y revient avec Le Banquet, un débat entre Socrate et ses amis sur l’amour.
Agathon vient de remporter un concours de tragédie. Il a fêté ce succès, buvant beaucoup avec ses invités. Le lendemain il retrouve ses plus proches, Pausanias, Aristophane et bien sûr Socrate. Agathon décide que ce soir on fuira l’ivresse au profit de discours. Chacun va faire l’éloge du désir et de l’amour, s’interroger sur la nature et les qualités d’Éros, le Dieu de l’amour. Des sept discours du Banquet, Nicolas Liautard et Magalie Nadaud en ont retenus quatre, auxquels s’ajoutera celui d’Alcibiade qui n’avait pas été invité et arrive tardivement, ivre, jaloux, plein de ressentiment contre celui qu’il admire mais auquel il reproche de l’avoir abandonné, Socrate.
Dans l’introduction, Apollodore rapporte à un certain Glaucon avec qui il chemine, la soirée chez Agathon qui a eu lieu onze ans auparavant ! De l’introduction complexe du Banquet, Nicolas Liautard fait un moment drôle avec une pincée de comique qui reviendra ponctuer les discours sérieux. Tout commence avec le hoquet d’Aristophane qui doit céder son tour de parole. Chacun des participants va faire son éloge de l’amour. Pausanias distingue l’Aphrodite vulgaire, qui vante l’amour physique, de l’autre, l’Aphrodite céleste, qui vante le bel esprit et le désir pour les hommes qui seuls en sont dignes. Laquelle faut-il le plus louer ? Aristophane développe l’idée d’un troisième sexe et le mythe des humains doubles, que Zeus aurait coupé en deux pour réduire leurs prétentions et qui depuis chercheraient à retrouver leur unité perdue. Agathon fait l’éloge d’un Éros toujours jeune, le plus beau des dieux et Socrate à son habitude les pousse à s’interroger sur le désir qui n’est ni bon ni mauvais. Il avoue qu’il doit sa connaissance de l’amour à la prêtresse Diotime qui lui a appris qu’Éros était fils d’Expédient et de Pauvreté, avide comme sa mère, ardent et malin comme son père. Quant à Alcibiade, arrivé ivre après le symposium, il renonce à faire l’éloge de l’amour et propose un éloge de Socrate.
Il est très rare de trouver mis en scène un texte, le plus souvent réservé aux universitaires, en y mettant de la vie et de l’ironie, sans jamais altérer l’exigence des propos tenus. Nicolas Liautard et Magalie Nadaud lui trouvent la modernité d’avoir parlé du genre, avec ce mythe de l’androgyne, dont parle Aristophane, et d’avoir donné toute sa place à l’homosexualité dans cet éloge de l’amour. S’il doit y avoir un bémol, c’est que le choix de ce texte, qui renvoie les femmes à leur condition d’êtres bien peu pensants, même si Socrate reconnaît sa dette envers la prêtresse Diotime, ne passe plus très bien aujourd’hui.
Les spectateurs sont dans un dispositif bifrontal qui les place d’emblée, comme dans les banquets antiques, au plus près des orateurs. A l’exception d’Émilien Diard-Detoeuf, qui incarne Alcibiade, Nicolas Liautard a confié tous les rôles à des femmes : Sarah Brannens est Socrate, Jade Fortineau, Agathon, Maïa Foucault, Aristophane et Célia Rosich, Pausanias et Apollodore. Toutes ont l’élan nécessaire pour improviser leur éloge et Maïa Foucault, à l’instar de son personnage Alcibiade qui fut un poète comique à succès à son époque, emporte les rires en mimant ces humains bizarres que Zeus avait coupés en deux et Apollon tenté de recoudre. Comme il était d’usage dans ces banquets, une joueuse de santour, Mahdokht Karampour, est à la fois la narratrice et celle qui par son art de musicienne augmente le plaisir de la conversation philosophique.
Avec ce spectacle Nicolas Liautard et Magalie Nadaud nous encouragent à retrouver ce qui se perd un peu à notre époque, une pensée autonome sur un sujet qui nous intéresse tous et qui est débattu ici dans la rencontre et la convivialité sans sombrer dans le conflit.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 21 décembre au Théâtre de La Tempête, Cartoucherie, Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h – Réservations : www.la-tempete.fr
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