Une remarquable adaptation de l’Assommoir de Zola, tant par l’écriture de dialogues, la mise en scène, que le jeu des comédiens.

L’histoire débute sur scène au moment où Gervaise Macquart résiste aux avances de son voisin Coupeau et au premier baiser qu’il cherche à gagner en vantant ses mérites d’ouvrier couvreur, se décrivant sobre, non-violent et méritant. Même si on n’a pas lu -ou oublié- le texte d’Emile Zola, on comprend vite les résistances de Gervaise, qui est attachée à son métier de blanchisseuse et à son indépendance depuis qu’elle a été abandonnée par le chapelier paresseux Lantier, avec qui elle a vécu depuis l’âge de 14 ans, eu 2 enfants (un seul sera évoqué dans la pièce) et quitté son village pour vivre avec lui dans le quartier de la Goutte d’or à Paris, en brisant progressivement tous ses espoirs d’une vie meilleure.

En un peu moins de 2h, le spectacle évoque une quinzaine d’années de ce nouveau couple jusqu’à l’adolescence de leur fille Anna, dite Nana, en faisant ressentir les drames de la condition ouvrière d’alors avec les conséquences d’un accident du travail, faisant notamment sombrer Coupeau dans l’alcool et la violence et entraînant Gervaise dans sa chute et la déchéance.

Il faut saluer l’habileté narrative d’Anne Barbot, qui signe cette adaptation et la mise en scène avec Agathe Peyrard, tout en étant la remarquable interprète du rôle de Gervaise. Des dialogues significatifs, écrits dans le style de Zola, se substituent à de longues descriptions du récit. Ils permettent simultanément de faire comprendre les ellipses de temps, magistralement enchainées sans transitions, le spectacle franchissant rapidement les années, en occultant, sans que ce soit gênant, de nombreux épisodes du roman, tels que le mariage, les relations avec la mère de Coupeau, une partie des relations de voisinage… et on va découvrir une Nana déjà adolescente avec des comportements nous plongeant dans une contemporanéité échappant au 19e siècle de ses parents, à qui on doit un accompagnement musical diégétique qu’elle interprète elle-même (rôle confié à Minouche Nihn Briot).

Auparavant, c’est aussi avec une grande force d’interprétation que tout se joue avec seulement les deux comédiens interprétant les personnages de Coupeau (Benoît Dallongeville) et Gervaise, sans la moindre interruption jusqu’au paroxysme final, dans l’unité de lieu de la grande pièce unique de l’appartement pauvre de Gervaise, le monde extérieur n’étant que suggéré comme les autres personnages du récit. C’est notamment le cas de nombreux convives, de leurs controverses… et beuveries que l’on ne devine, à l’issue d’une réception d’anniversaire, que par le nombre de bouteilles d’alcool sur la table au milieu de la pièce, qui ne cesseront de croitre jusqu’au final… tandis qu’un espace évoquera le repli dans ce logement de la boutique de blanchisserie acquise par Gervaise, qui était son rêve et sa fierté… espace séparé sur scène par un grand drap qui sera aussi suggéré comme abritant le retour de Lantier, habile à se faire loger et entretenir par décision de Coupeau chancelant dans l’alcool…  

Le baiser comme une première chutePhotographies de Simon Gosselin

Une prouesse théâtrale à découvrir vite à St-Denis où en tournée, dont il a été possible de constater qu’elle pouvait captiver des adolescents d’aujourd’hui, impressionnés, venus avec leur classe de 1ère d’un lycée de proximité.

Philippe Laville

Une belle présentation d’Anne Bernot accessible ici : https://youtu.be/MRdL-XyRjRA

Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis
59 bd. Jules Guesde
93207 Saint-Denis cedex
01 48 13 70 00
(horaires de la billetterie du lundi au vendredi : 12h-19h)

http://www.theatregerardphilipe.com/

En tournée avec notamment :
Les 14 et 15 octobre 2021, Théâtre Jacques Carat, Cachan
Le 21 octobre, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
Les 9 et 10 novembre, Théâtre Monsigny, Boulogne-sur-Mer
Du 31 mars au 2 avril, Fontenay-en-Scènes, Fontenay-sous-Bois
Du 7 au 9 mai 2022, NEST – centre dramatique national, Thionville-Grand Est

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