Lawrence d’Arabie, un idéaliste qui rêvait de créer un État puissant au cœur du Moyen-Orient ou un homme qui, tout en tissant sa légende, a naïvement servi le jeu des puissances coloniales au début du XXème siècle ? Des historiens en débattent, mais à coup sûr un personnage romanesque, objet d’un film aux sept oscars. Le porter sur une scène de théâtre peut paraître un projet insensé.

Eric Bouvron (et Benjamin Penamaria) qui avait déjà adapté et mis en scène Les cavaliers de Joseph Kessel, Molière du meilleur spectacle privé en 2016, s’est lancé dans l’écriture et la mise en scène de cette adaptation de la vie de T.E. Lawrence. Passionné de voyages, il a nourri cette épopée par un voyage et des rencontres avec des Bédouins en Jordanie. On suit donc Lawrence archéologue devenu agent de renseignement au service du gouvernement britannique pendant la première guerre mondiale, passionné par cette région et ses habitants et rêvant d’un royaume unifié et moderne du Hedjaz à la Syrie, conquis sur l’empire ottoman et dirigé par son ami le Prince Fayçal. Les deux auteurs nous accompagnent de son enfance à la fin de son rêve, fracassé par les calculs politiques et la trahison des grandes puissances.

Ce qui est magnifique c’est la façon dont la mise en scène d’Eric Bouvron illustre cet art de l’illusion qu’est le théâtre. Huit acteurs jouent tous les rôles autour de Lawrence (excellent Kevin Garnichat) Ils se changent à vue devenant soldats turcs, général britannique, Prince Fayçal, Bédouins. L’un d’eux devient même chameau ruminant, tordant sa bouche, se relevant avec lourdeur, provoquant une hilarité teintée d’admiration chez les spectateurs. Avec trois malles métalliques sur lesquelles sont assis trois acteurs, armés de fusils de bois et oscillant au rythme d’un train, il nous fait revivre l’attaque du chemin de fer du Hedjaz, première opération de guérilla prônée par Lawrence. Derrière un drapeau les acteurs pliés en deux font frémir leurs keffiehs, comme s’ils résistaient aux tempêtes de sable dans cette traversée du désert, jugée impossible, qui les mène vers Aqaba. Tout fait sens. Assis par terre les bédouins débattent de la possibilité d’une alliance avec les Anglais. Quand en 1918 les vainqueurs obligent le Kaiser Guillaume à se mettre nu, ne lui laissant que son casque à pointe, c’est toute l’humiliation infligée aux vaincus de la guerre que l’on imagine. L’allure hautaine et ironique des auteurs des accords Sykes-Picot, dans lesquels la France et le Royaume-Uni se partagent le Moyen-Orient, prêterait à rire si on ne savait combien ils marquent encore l’histoire de cette région. Trois musiciens présents sur le plateau jouent à l’accordéon, au violon, au saz et aux percussions, une partition qu’ils ont composée, tissant un pont entre occident et Orient. À l’exception de la chanteuse Cécilia Meltzer, il n’y a que des hommes sur le plateau, ce qui se justifie car il n’y avait aucune femme dans l’entourage de Lawrence.

Un spectacle qui fait la part belle à l’amitié, celle de Lawrence pour Fayçal et pour son serviteur Dahoom, bravant le mépris de son entourage britannique pour les Arabes. Un spectacle qui met en lumière aussi les mensonges, ceux des politiques qui se moquent des engagements qu’a pris Lawrence. Amitié, trahison, loyauté, une histoire qui résonne encore dans le contexte géopolitique actuel.

Micheline Rousselet

Du 20 janvier au 21 février au Théâtre 13/Jardin – 103 A Boulevard Auguste Blanqui, 75013 Paris – Réservations : 01 45 88 62 22 – du mardi au samedi à 19h, dimanche à 16h – Horaires et dates susceptibles de changer en raison du COVID

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