Après Les Précieuses ridicules et Le bourgeois gentilhomme, Jérôme Deschamps poursuit son exploration de Molière avec L’avare.
Pour Harpagon l’argent est la clé du bonheur. Il l’aime plus que tout, en veut toujours plus et l’idée d’avoir à en donner le met en transes. Même le bonjour il ne le donne pas, il « le prête ». Il veut tout mais que cela ne lui coûte rien. Il vole même l’avoine de ses chevaux, puisque c’est un aliment comme un autre ! Son avarice a aussi contaminé ses sentiments. Ses enfants ne doivent rien lui coûter. Il se moque de leurs sentiments. Il destine son fils à une vieille veuve fortunée et sa fille à un barbon qui ne demandera pas de dot. Pire encore, il a décidé d’épouser Mariane qu’aime son fils et, pour ses épousailles, enjoint à on cuisinier, également cocher – cela coûte moins cher de lui faire cumuler les emplois – de réduire les frais au minimum, calculant chaque verre de vin qui sera servi. Capable du pire, il escroque son propre fils en lui prêtant de l’argent via un intermédiaire véreux ou le trompe en lui faisant croire qu’il est sensible à son inclinaison pour Mariane avant de le détromper avec une perversité confondante. C’est à l’argent qu’il a donné tout l’amour dont il était capable au point que le nom même d’Harpagon est devenu au fil des siècles un synonyme d’avare.
Soucieux « d’éviter les artifices des décors » dit-il, Jérôme Deschamps a choisi un décor très sobre avec trois rangées de volets latéraux et une toile de fond où perce un soleil pâle dont la couleur se modifie ainsi que les éclairages au gré de l’avancée de la pièce. On passe du bleu sombre à la lumière plus solaire des préparatifs de la noce avant de revenir à l’obscurité pour un Harpagon seul mais satisfait d’avoir retrouvé sa cassette. Les costumes de Macha Makeïeff apportent au style XVIIème une touche inventive et comique.
La mise en scène de Jérôme Deschamps reste très classique, mettant l’accent sur le comique de la pièce de Molière, y glissant juste quelques tics tout droits sortis des Deschiens, l’émission de télévision qui l’a fait connaître au grand public dans les années 1990. Ce n’était pas nécessaire, non plus que cette séquence où Frosine et Élise se lancent dans une parodie du Tri Martolod des Tri Yann. Le goût pour la farce est par contre très bien exploité avec le personnage de Maître Jacques. À l’encontre de mises en scène récentes comme celles de Jacques Weber ou de la Comédie Française, le metteur en scène ne fait ressortir aucun parti-pris.
Interprétant lui-même Harpagon, Jérôme Deschamps fait bien entendre toute l’avidité de cet homme, prêt à sacrifier ses propres enfants pour accumuler encore plus, et son égoïsme de vieillard qui se prépare sans honte à épouser la jeunette qu’aime son fils. Vieillard il crache, emprunte le mouchoir de Frosine et le fourre sans hésitation dans son corsage après s’y être mouché. Il a le petit sourire pervers de l’homme qui trompe son propre fils, le laissant espérer pour mieux tromper brutalement les espoirs qu’il a fait naître, montrant ainsi son pouvoir. Autour de Jérôme Deschamps la troupe est homogène, même si on peut regretter le choix de faire pousser à Mariane (interprétée par Luise Legendre) des cris hystériques et verser des pleurs trop ostentatoires.
Une mise en scène un peu trop classique mais respectueuse de la pièce et un Harpagon mémorable.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 29 avril au Théâtre de la Ville- les Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h – Réservations : theatredelaville-paris.com ou 01 42 74 22 77 – Tournée : 10 et 11 mai au Théâtre de Chartres – du 23 juin au 19 août aux Fêtes nocturnes du Château de Grignan (26-Drôme provençale) – du 28 au 31 décembre au Théâtre de Caen*
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