Dans les années 1970, l’État décida une extension du camp militaire du Larzac. Il prévoyait d’en tripler la superficie en rachetant ou en poussant dehors ceux qui y étaient installés. 103 paysans refusèrent de quitter leurs terres et le soutien s’organisa. Manifestations dans toute la France, rassemblements sur le plateau, création de comités Larzac, achats de terrains stratégiques dans la zone d’extension prévue, pour bloquer le projet. En 1981 l’État finit par renoncer à l’extension du camp et en 1984 les agriculteurs créent la SCTL, la société civile des Terres du Larzac, démarrant un projet innovant d’occupation des terres agricoles fondé sur « la valeur d’usage ». Ces « utopistes » avaient gagné et en 1985 l’État leur accorda un bail emphytéotique de 60 ans, prolongé depuis jusqu’en 2083.
En 2015 Philippe Durand, avait crée 1336 à partir des interviews d’ouvriers de Fralib en lutte contre la multinationale Unilever qui prévoyait la fermeture de leur entreprise. Fralib existe toujours et la pièce tourne encore ! Philippe Durand s’intéresse cette fois au Larzac, non pas pour raconter la lutte des années 1970 mais pour voir où en sont les habitants du Larzac aujourd’hui. Il a recueilli leur parole et de ces entretiens il fait un spectacle passionnant. De quoi parlent ceux que l’on traitait parfois d’utopistes hors sol ? Ils expliquent en termes clairs comment fonctionne la SCTL, ce modèle de gestion collective des terres agricoles, un projet à taille humaine où ce n’est pas la propriété qui compte mais « la valeur d’usage », où on ne cherche pas à s’enrichir mais à vivre décemment d’un travail choisi et où on s’engage à quitter la ferme quand vient l’heure de la retraite pour la céder à la génération suivante. A travers leurs mots apparaît une aventure extraordinaire, le choix du collectif, la démocratie à l’œuvre avec tout ce que cela suppose de débats et de recherche de solutions et de compromis pour aller de l’avant. Comme dit l’un d’eux : « J’adore comment on est pas d’accord et comment on a envie de l’être »
Philippe Durand est assis avec, sur la table devant lui, le texte des entretiens, qu’il a peu réécrits pour en garder l’oralité et la vivacité. Le spectateur a l’impression d’être le destinataire des paroles de chacun de ces Larzacois, de cette pensée qui avance en affûtant peu à peu les arguments. Le comédien prend légèrement l’accent de l’Aveyron, en change subtilement quand il porte la parole de la comédienne polonaise venue s’installer, acceptée bien que non paysanne par le conseil qui examine les candidatures de ceux qui reprennent une terre laissée par un ancien exploitant. Il s’anime, explique, s’échauffe pour tenter de convaincre, il bouge ses mains, semble prendre à témoin chaque spectateur.
Dans les manifestations paysannes, dont on a beaucoup parlé ces derniers temps, on aurait aimé entendre la voix de ces agriculteurs. Ils nous parlent de l’agriculture, du poids des lobbys agricoles et de l’enseignement qui présentent le modèle productiviste de l’agriculture comme le seul possible, mais aussi de démocratie, du pouvoir du collectif et de l’utopie. Philippe Durand captive les spectateurs en rendant passionnante cette expérience, modèle de réussite dont on ne parle pas assez. Un spectacle à voir absolument avec ou sans les élèves !
Micheline Rousselet
Spectacle vu dans le cadre du Festival Flow#5 des arts de la parole, au Théâtre des Sources à Fontenay-aux-Roses (92260) – Tournée : du 20 au 24 mars Théâtre Jean Lurçat à Aubusson, du 26 mars au 7 avril MC2 Grenoble, du 9 au 11 avril à Rouen au MDU de Mont Saint-Aignan, les 19 et 20 avril à Toulouse, théâtre le Hangar, du 25 au 27 avril à Bagnères-de-Bigorre avec l’Association Traverse, les 2 et 3 mai dans le Cantal avec la Communauté de communes de la Châtaigneraie, en juillet 2024 dans le Off d’Avignon au Théâtre des Halles
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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