Sabrina Kouroughli a adapté et mis en scène le beau livre d’Alice Zeniter, Goncourt des lycéens 2017. L’héroïne, Naïma, travaille dans une galerie d’art à Paris quand les attentats la renvoient à ses origines. Elle se souvient qu’elle vient d’un pays dont on lui a si peu parlé, bien qu’elle en porte la trace avec ses cheveux noirs et bouclés. Il y a eu la honte de son grand-père harki, le silence de son père, ce père qui lui a transmis ses peurs : peur de faire des fautes de français, peur qu’on lui demande son prénom, peur d’être assimilé aux terroristes, peur qu’on lui demande à quelle date il est arrivé en France, un père qui a « confondu intégration et terre brûlée ». C’est avec sa grand-mère qu’elle va reconstituer son histoire familiale dans un sabir mêlant le français et l’arabe. La tendresse et l’humour aidant, Naïma va partir pour visiter l’Algérie, voir ceux de sa famille qui y sont encore, comprendre et s’apaiser.

Dans la mise en scène de Sabrina Kouroughli, on est dans la cuisine de Yema, la grand-mère (Fatima Aibout) assise à la table brodant ou cuisinant. En dépit de son arabe hésitant, tout comme l’est le français pour sa grand-mère, Naïma (Sabrina Kouroughli) va avec l’aide de Yema reconstituer le puzzle familial. Un homme est assis au fond du plateau, dos à la salle. Ce n’est qu’au milieu du spectacle que cet homme se retournera, il est comme le fantôme d’Ali, ce grand-père (Issam Rachyq-Ahrad) harki, obligé de fuir l’Algérie à la fin de la guerre. Peu à peu Ali et Yema vont prendre la parole, parfois en arabe. Ils vont revivre leur histoire, le départ en bateau, elle qui n’avait pas envie de partir mais, comme elle le dit, « les hommes font les conneries et c’est nous qui payons ». Avec surprise, ils découvrent le camp de Rivesaltes où on les conduit, avant le HLM de Normandie, où Ali dit qu’ils pourront enfin « être comme les Français ». Yema tente obstinément l’intégration, expérimentant le couscous aux frites mais y renonçant ! La pizza à la viande de mouton et les langues de chat, au lieu des gâteaux au miel, ça marche un peu mieux. Avec humour et pudeur Yéma et Ali disent la difficulté de se trouver projeté dans un univers inconnu si loin du leur. Le grand-père s’enferme dans ses cauchemars et le silence. Le père de Naïma veut s’intégrer. Il en a assez d’être préposé au téléphone, ses parents ne maîtrisant pas assez le français. II se débarrasse du ramadan, frein aux jeux avec les copains. Naïma a parlé avec sa grand-mère, mais personne ne lui a vraiment décrit l’Algérie. On la voit face à une carte, comme celles que l’on accrochait autrefois aux murs des écoles, lisant les noms des villes d’Algérie ou, guide du Routard à la main, décidant de partir visiter ce pays inconnu. Il lui restera étranger, mais elle est apaisée elle a compris qu’ « on peut venir d’un pays sans lui appartenir, qu’on peut perdre un pays » et que ce pays peut vous manquer « sans que sa perte soit forcément un désastre ».

C’est à travers la relation intime de Naïma avec sa grand-mère, Yema, que la metteuse en scène a choisi de parler de la question de la transmission et de l’exil au cœur du roman d’Alice Zeniter. Une pièce salutaire qui résonne fortement avec la situation actuelle des migrants.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 septembre au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, 75011 Paris – Mercredi et jeudi à 19h15, vendredi et samedi à 21h15 – réservations:01 48 06 72 34 ou theatredebelleville.com – En tournée ensuite : 13 octobre au Centre Culturel Boris Vian, Les Ulis (91), 20 octobre au Musée national de l’Immigration, Paris, 17 et 18 novembre au Théâtre Jean Vilar, Suresnes (92), 30 novembre à l’ABC de Dijon (21), 7 décembre  à la Communauté d’agglomération Mont Saint Michel, Normandie (50), 12 décembre au Théâtre du Pilier à Belfort (90), du 25 janvier au 9 février 2024 au Théâtre Gérard Philipe de Saint Denis (93)… d’autres dates au printemps 2024

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