On connaît l’attrait qu’avaient pour Marguerite Duras les faits divers. S’inspirant du meurtre de son mari par Amélie Rabilloud qui dépeça son cadavre et s’en débarrassa en jetant les morceaux depuis un pont dans des trains qui passaient, elle écrivit une pièce, qu’elle rejeta ensuite, avant d’écrire un roman dont elle tira L’amante anglaise. Ici le mari reste vivant. C’est sa cousine sourde et muette, Marie-Thérèse, que son mari avait installée chez eux pour faire le ménage et la cuisine, que Claire Lannes a assassinée. On a retrouvé les morceaux dans des trains. Claire Lannes a avoué mais refuse de dire où se trouve la tête de la victime que l’on n’a pas retrouvée.
Il ne se passe rien de spectaculaire sur la scène du théâtre de l’Atelier, seulement des questions et des réponses brèves. Jacques Osinski, qui avait offert une très belle mise en scène de Fin de partie de Beckett l’an passé, met en scène la pièce de Duras avec une sobriété exemplaire. Une voix off raconte la découverte des morceaux de corps dans des trains, l’enquête qui a suivi et Claire Lannes qui a avoué, mais n’a jamais réussi à expliquer son geste. C’est à la langue de Duras, à ces mots qui restent en suspens comme si le personnage se parlait à lui-même pour chercher à se comprendre que s’attache le metteur en scène
Pas de décor. Un homme entre sur le plateau nu, s’assied sur une chaise devant le rideau de fer baissé, jette un regard un peu inquiet sur le public assis. Pierre Lannes, le mari de Claire répond aux questions précises, sèches, que lui pose depuis la salle un homme (Frédéric Leidgens), qui cherche à comprendre. Policier, psychiatre, on ne le saura pas ? Grégoire Oestermann incarne un Pierre Lannes, la voix douce, inquiétant par sa froideur, son refus de s’interroger, se demandant surtout ce qu’allait devenir la maison après la disparition de Marie-Thérèse, portant des jugements sévères sur sa femme, incapable d’aimer et allant peu à peu vers une certaine lucidité lorsqu’il dit que si Claire n’avait pas tué Marie-Thérèse, c’est peut-être lui qu’elle aurait assassiné.
Quand il sort de scène au bout d’une heure, le rideau de fer se lève sur une pièce aussi nue et vide que le fut la vie du couple que vient d’évoquer Pierre. Une silhouette gracile en robe noire, venue du fond du plateau, Claire Lannes, s’avance et va le remplacer. L’interrogateur attend d’elle qu’elle explique son geste, elle semble attendre qu’il l’éclaire sur ce geste. Trop de solitude, une déception amoureuse avant son mariage, un mari qu’elle n’aime pas, auquel elle est indifférente, la présence de cette cousine devenue insupportable, la folie ? Le mystère de ce meurtre reste entier. On a un cadavre, mais il manque sa tête et surtout un mobile. Sandrine Bonnaire a l’opacité de Claire. Calme, voix posée, parfois un peu d’inquiétude quand elle s’interroge sur ce qu’on va faire d’elle, d’autres fois un peu de tristesse ou un léger sourire comme celui d’un enfant. Même quand elle parle des plantes, de la menthe anglaise qu’il faut arroser en hiver, ou du banc dans le jardin où elle s’est parfois trouvée intelligente, on est bouleversé. Tant de nuances passent sur le visage de Sandrine Bonnaire qu’on est terrassé par cette femme enfermée dans la solitude et la folie.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 31 décembre au Théâtre de l’Atelier, 1 Place Charles Dullin, 75018 Paris – du mardi au samedi à 21H, le dimanche à 15h – Réservations : billetterie@theatre-atelier.com ou 01 46 06 49 24 – en tournée ensuite : du 9 au 11 janvier 2025 au Théâtre Montansier à Versailles, le 14 janvier au TAP Poitiers, les 16 et 17 janvier à la Scène Nationale Châteauvallon-Liberté de Toulon, le 8 février aux Franciscains à Deauville …
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