 
L’artiste queer Vanasay Khamphommala, à la fois autrice, metteuse en scène, comédienne et performeuse a fait le projet, à la fois tendre et fou, de chanter en duo avec la voix de sa grand-mère paternelle. Projet pour le moins compliqué puisque celle-ci est morte en 1944 à vingt ans, en donnant naissance à son premier enfant, le père de l’artiste. D’autre part, Vanasay Khamphommala est née à Rennes, où son père s’était réfugié, n’a jamais appris le lao et a été formée à la musique baroque à l’Opéra, très éloignée de la musique lao traditionnelle. Enfin il n’existe ni photo ni enregistrement de la voix de cette grand-mère, ni même des chansons laotiennes de l’époque, que la colonisation, complétée ensuite par la domination culturelle américaine, a effacées. Loin de se décourager, Vanasay Khamphommala a appris le lao, s’est rendue plusieurs fois dans le village d’où était originaire sa grand-mère. Enfin elle s’est dit que sur scène, dans ce voyage dans le passé, il lui fallait un guide et il est vite apparu que c’était son père qui devait remplir ce rôle.
C’est à travers la cérémonie traditionnelle du baci que le public, assis par terre sur des nattes de paille colorées ou sur des petits tabourets bas de plastique, est invité à entrer dans cette recherche. Autour d’un autel traditionnel avec des fruits, des fleurs de plastique, des bougies, des bouteilles de bière, des tissus brodés, Vanasay Khamphommala tourne d’une démarche dansante, vêtue de la longue jupe laotienne. Elle défait son chignon pour laisser ses cheveux libres, comme elle imagine que devaient être ceux de cette grand-mère dont il ne reste rien. Elle espère que de la petite radio-cassette à pile qu’elle tient pourrait venir cette voix. Puisque cela ne marche pas, elle nous fait entrer au Laos avec ses brumes matinales et ses sons : coassements des grenouilles, chant des cigales et des oiseaux, mugissements des buffles et bruit des voitures, obtenus grâce à des petits appareils confiés à des spectateurs. Elle nous parle du Laos, pays le plus miné au monde, de l’acculturation, subie avec la colonisation, puis la mondialisation, des traditions qui perdurent pourtant. Elle en profite pour lancer un petit atelier dans le public avec des brins de fil à nouer pour créer des liens. N’ayant pas réussi à pouvoir chanter avec sa grand-mère, il ne lui reste plus qu’à convoquer son père, le vrai. Il arrive avec une veste rappelant le costume de scène d’Elvis Presley, dont il est un admirateur, collier de fleurs de plastique autour du cou, lunettes de soleil sur les yeux et micro doré en main. Un dialogue mi-lao mi-français s’installe entre eux, quelques pas de madison sont esquissés, ils échangent, au point de voir le père se coiffer d’une perruque aux longs cheveux, avant qu’il ne se mette à chanter le lam, cette musique dont la trace peut aussi se perdre puisque les paroles sont improvisées.
Un spectacle tendre et émouvant qui, avec finesse et humour, remet en question les croyances qui fondent nos identités et nos pratiques en s’inscrivant dans une perspective décoloniale, écologiste et post-genre.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 18 octobre à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris – Tournée : 20 au 22 novembre au Théâtre de la Renaissance à Oullins, 5 au 7 février au Festival La Caverne au CDN d’Orléans, du 4 au 7 mai au Théâtre 13 à Paris
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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