La plupart des enfants des années 60 à 80 a été bercée par l’humour, la gaieté et les mélodies simples et claires des Fabulettes qu’Anne Sylvestre avait écrites pour ses filles. Le plus souvent ces Fabulettes ont été ensuite pour eux une introduction à ses chansons pour adultes. Si elle n’a jamais voulu chanter les premières en public, elle ne les reniait pas pour autant. Mais elle donnait la priorité aux secondes, plus de 720 réunies dans une vingtaine d’albums. Pour certaines, comme Sorcière ou J’aime les gens qui doutent, les paroles reviennent à la mémoire dès qu’on en entend les premières notes.
En mots ciselés Anne Sylvestre abordait les thèmes de société de l’époque, la guerre d’Algérie (mon mari est parti), le viol (maison douce), l’avortement (non, non, tu n’as pas de nom) et toujours un féminisme vibrant, « la seule étiquette que je ne décolle pas » disait-elle, et la défense du droit des femmes à disposer de leur corps. Elle prenait même une longueur d’avance en disant qu’elle avait aimé des hommes mais aussi des femmes et en affirmant, avec sa chanson Frangines, que la sororité, plutôt que la rivalité à laquelle les encourageait les hommes, aurait fait gagner bien du temps aux femmes !
Marie Fortuit a aimé la chanteuse et voulu « faire résonner sa pensée par le biais de ses chansons composées comme un trait d’union entre les gens ». N’étant pas chanteuse mais autrice et comédienne elle propose un spectacle original qui commence par une voix off annonçant le décès de la chanteuse le 30 novembre 2020. On y entend la voix singulière d’Anne Sylvestre, celle de son amie la chanteuse Michèle Bernard, des interviews, par exemple un Radioscopie de Jacques Chancel. Interrogée sans filtre sur son agressivité, la chanteuse répond qu’elle l’était « parce qu’elle avait de la dignité ». On y entend ses indignations, ses colères, sa façon d’affirmer ses convictions, son humour aussi. Mais c’est surtout dans ses chansons, en complicité avec la pianiste Lucie Sansen, que Marie Fortuit va chercher un écho aux questions qu’elles se posent toutes deux aujourd’hui, en tant que femmes et artistes.
Accompagnée au piano ou au guide-chant par Lucie Sansen, Marie Fortuit reprend une douzaine des chansons de la chanteuse, parfois en s’accompagnant à la guitare. Des connues aux moins connues, en terminant sur Après le théâtre, magnifique hommage à la vie de comédien, elles parlent d’elles aujourd’hui comme un écho à la parole vivante et vibrante d’Anne Sylvestre.
Micheline Rousselet
Spectacle vu à Paris aux Plateaux Sauvages en avant-première du Festival Off d’Avignon – Du 7 au 26 juillet au Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Saïn, 84000 Avignon – à 22h30 – Relâches les 13 et 20
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