La pièce, écrite par Brecht en 1938 et retravaillée jusqu’aux années 50, suit la vie de Galilée astronome, mathématicien et physicien italien du XVIIème siècle. Toujours avide de mettre au point de nouvelles théories pour faire avancer les connaissances scientifiques, il est aussi amoureux de la vie et de la bonne chère et cherche à ne pas subir le sort de Giordano Bruno que l’Église a condamné peu de temps auparavant au bûcher. Or Galilée avance sur le même terrain. Lui aussi affirme que la terre n’est pas au centre de l’univers, que comme la lune, elle tourne autour du soleil et il en apporte la preuve. Or cela l’Église ne saurait l’accepter car si la terre n’est pas le centre de l’univers, l’homme ne l’est pas non plus. La théorie de Galilée remet en cause les dogmes de l’Église et l’ordre social lui-même. Passant de Venise à Florence puis à Rome, Galilée se faufile entre les interdits, se croit protégé par sa renommée internationale d’autant plus que le nouveau pape se pique de sciences. Mais c’est compter sans le pouvoir de la Sainte Inquisition. Galilée décevra ses amis en abjurant pour sauver sa vie, mais n’abandonnera pas pour autant ses recherches qu’il réussira à mener en cachette et c’est à l’étranger que ses théories seront publiées.
Pour Brecht c’est le doute qui permet de dépasser les idées reçues et de faire avancer la connaissance. Galilée refuse de croire aveuglément dans les affirmations de l’Église et invente les instruments qui vont lui permettre de démontrer ce qu’il avance. Il croit en la raison. Pour Eric Ruff, qui met en scène la pièce, ces questions ont un écho aujourd’hui. Si nous disposons d’une multitude d’objets et de techniques, nous ne les maîtrisons plus suffisamment pour échapper aux fausses informations qui pullulent sur les réseaux sociaux. La question de savoir comment protéger la liberté du chercheur quand il lui faut de l’argent pour sa recherche reste, elle aussi, toujours d’actualité.
Puisqu’on est en Italie, que à l’époque la peinture y est reine et le pouvoir de l’Église immense, Eric Ruff, qui signe aussi la scénographie, a choisi de faire exécuter par les ateliers de décor de la Comédie Française de grandes toiles peintes qui reprennent des détails de tableaux de Raphaël, de Fra Angelico, de Rembrandt, du Caravage : des anges, un visage de la Vierge, des saints, des drapés de riches étoffes. Elle emplissent le fond de la scène, se côtoient, se chevauchent parfois, créant un univers somptueux. Les costumes, création de Christian Lacroix sont tout aussi remarquables. La tenue sobre de Galilée et de ses disciples contraste avec la richesse des costumes des dames de la Cour des Médicis à Florence, du Pape, des cardinaux vêtus d’une sorte de robe montgolfière qui leur permet de tourner comme les planètes qu’étudie Galilée ! Les cornettes des nonnes tournoient dans la panique de la peste qui a gagné Florence. De brefs éclairages au plafond de la salle semblent entraîner les spectateurs dans l’entourage du savant.
Il y a un grand nombre de personnages dans la pièce de Brecht, ce qui en fait une pièce idéale pour un travail de troupe. On ne saurait nommer tous les acteurs qui souvent jouent plusieurs personnages, mais tous sont bons. Hervé Pierre a la rondeur et le verbe haut d’un Galilée orgueilleux, obstiné, attaché à ses recherches n’hésitant à leur sacrifier sa fille, gourmand, prenant des risques en ne fuyant pas assez vite parce qu’il ne veut pas abandonner un bon vin ! Il campe un Galilée abattu quand il abjure, vaincu par l’âge et la cécité ensuite, puis qui s’anime à nouveau au bon tour joué à l’Inquisition lorsqu’il confie son dernier ouvrage à son ancien élève qui part en Hollande où il le fera imprimer. Onctueux, impérieux, ouvert aux théories nouvelles mais se rendant vite aux impératifs de l’Inquisition, Guillaume Gallienne (en alternance avec Serge Bagdassarian) fait un pape et un Cardinal Barberini parfait ! Florence Viala est Madame Sarti la gouvernante, et probablement un peu plus, de Galilée qui le morigène et le protège. Citons encore Jean Chevalier qui incarne Andrea le fils de la gouvernante, le disciple de Galilée. L’acteur le fait évoluer, jeune élève qui écoute, adjoint aux recherches, ayant une confiance absolue dans les théories de Galilée, terriblement déçu par sa lâcheté quand il abjure et retrouvant espoir quand il se charge d’emporter les travaux du maître aux Pays-Bas.
Sans rien sacrifier au propos, cette mise en scène offre un écrin précieux à la pièce de Brecht qu’on a souvent présentée de façon trop austère.
Micheline Rousselet
En alternance jusqu’au 21 juillet, matinées à 14h, soirées à 20h30
La Comédie Française, Salle Richelieu
Place Colette, 75001 Paris
Réservations : 01 44 58 15 15 ou www.comedie-francaise.fr
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