Simon Stone aime les grands rôles de femmes et l’a prouvé dans son travail sur Trois sœurs de Tchekhov et dans Medea . Pour cette trilogie, il a décidé de puiser son inspiration dans trois grands drames élisabéthains ( Dommage qu’elle soit une putain de John Ford, The changeling de Middleton, Titus Andronicus de Shakespeare) auquel il a ensuite ajouté Lope de Vega. Les femmes y apparaissent toujours soumises aux désirs des hommes et à leur pouvoir, passant du pouvoir du père à celui du mari, faites pour être possédées ou échangées mais, au XVIIème siècle, les choses ne sont plus tout à fait aussi figées. Dans ces drames, des femmes transgressent le tabou de l’inceste (chez Ford) ou expriment leur propre désir ouvrant la porte au chaos. Victimes de la violence des hommes ou puissamment destructrices, elles sont au centre de drames d’une violence inouïe. Simon Stone semble avoir voulu parler de la violence faite aux femmes aujourd’hui en gardant ce mélange de trouble et de répulsion qu’on trouve dans ces pièces.
Dans sa trilogie il est donc question des violences faites aux femmes et de leur vengeance. Mais, à l’exception du final, on a perdu la démesure des drames élisabéthains. On a égaré Game of Thrones , évoqué dans le dossier de présentation de la pièce, au profit d’une série banale dont seule la fin est un peu trash. Et c’est tout à fait dommage, car la mise en scène, la scénographie et les interprètes sont remarquables.
On ne s’ennuie pas au long des trois heures (trois heures quarante-cinq avec les deux entractes) que dure la pièce. Les spectateurs sont répartis en trois groupes A, B, C et changent d’espace – le restaurant, l’hôtel, le bureau – à chaque entracte, avançant dans l’histoire de cette famille ou revenant dans le passé en flash-back suivant le groupe qui leur a été attribué. Une histoire de famille où les hommes maltraitent les femmes, les soumettent à leur désir en usant de leur pouvoir jusqu’au moment de la vengeance. Sur scène il n’y a en fait qu’un homme, Eric Caravaca, qui joue le père et son fils. Il est formidable en père raté prétentieux, comme en fils veule et geignard, exerçant sa violence en se présentant comme une victime. Tous les autres protagonistes sont des femmes. Les acteurs jouent toutes les partitions, passant des portes pour galoper d’un plateau à l’autre, changeant de costume, parfois avec une rapidité stupéfiante, pour passer du moment de l’histoire que voient les spectateurs A à celui postérieur ou antérieur que voient les spectateurs B ou C. Cela fonctionne avec une précision admirable et le spectateur ne comprend pas tout de suite que lorsqu’un acteur vient de sortir de la scène, c’est pour entrer sur une autre scène qu’il ne verra lui-même que plus tard !
Valeria Bruni Tedeschi, Servane Ducorps, Adèle Exarchopoulos, Eye Haïdara, Pauline Lorillard, Nathalie Richard et Alison Valence jouent toutes les femmes présentes dans la vie de cet homme. Elles sont toutes formidables mais on retiendra particulièrement Valeria Bruni Tedeschi qui de sa voix perchée et voilée incarne de façon géniale une mère complètement névrosée.
Finalement on a une belle scénographie (Ralph Myers et Alice Babidge), un dispositif, certes bien maîtrisé par le metteur en scène, mais très lourd, des acteurs excellents mais au service d’un texte qui n’est pas à la hauteur des ambitions énoncées et où on cherche en vain la trace des drames élisabéthains.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h
Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier
1 rue André Suarès, 75017 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
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