Après Désobéir, où elle donnait la parole à des jeunes filles de la seconde ou troisième génération issue de l’immigration, sur la façon dont elle cherchait leur voie pour sortir des injonctions familiales et sociales traditionnelles, ce sont les jeunes hommes de toutes origines que Julie Berès est allée interroger. Avec les mêmes complices, Kevin Keiss et Alice Zeniter plus Liza Guez, elle les a questionnés sur leur lien au masculin, sur leur conception de la virilité, sur la sexualité, leur vision des femmes ou de la paternité. Si les filles devaient mentir pour se libérer, les garçons eux, doivent se mentir à eux-mêmes pour se conformer à l’image traditionnelle du masculin et se sentir appartenir au groupe des hommes. De leurs réponses et d’un gros travail documentaire doublé par une réflexion sur leur propre expérience, les trois auteurs ont tiré le texte de La tendresse qui s’intéresse à l’intime mais où le politique est loin d’être absent.

Julie Berès a choisi huit acteurs venus d’horizons aussi divers que le Congo, la Picardie … le break, le hip-hop ou la danse classique. Tous savent chanter et danser et pour la majorité d’entre eux ils ne voulaient plus ressembler au modèle de leurs pères ou grand-pères, ils souhaitaient s’enfuir de ce modèle masculin imposé.

Le texte est vu comme une partition musicale où les huit jeunes gens forment un chœur d’où s’échappent quelques-uns d’entre eux qui se mettent à dialoguer ou viennent s’adresser au public. Le chœur peint les paysages où ils ont grandi, les chansons qu’ils écoutaient à la radio, les vidéos qu’ils regardaient. Les gestes des rappeurs, les mains sur le sexe ou visant l’autre avec un « gun », les contorsions du corps, les spasmes, les postures, les paroles sexistes et misogynes, les grimaces du rap sont leur univers. Dans ces moments collectifs ce sont de véritables « battles » où s’affrontent les corps et les mots, où se défoulent rage, colère, violence et goût de la performance et certains d’entre eux y excellent. Mais la pièce montre aussi, et largement, que ce modèle masculin peut apparaître comme un fardeau dont ces jeunes hommes aimeraient se débarrasser. Accepter l’homosexualité, ne pas croire que les films porno sont le modèle de la sexualité, accepter que l’un d’eux préfère la danse classique au hip-hop, construire un lien d’égalité avec les filles, cela mérite qu’on y réfléchisse. Les acteurs ont pour nom Bboy Junior, Natan Bouzy, Naso Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner, Mohamed Seddiki, et ils ont tous un talent fou.

Avec une langue vraie et vive, celle dont ils usent entre eux, avec la tchatche et l’humour dont ils sont coutumiers, ils ouvrent un champ de réflexion et d’émotion qui interpelle les spectateurs. Ce portrait d’une jeunesse avec ses fragilités et ses paradoxes débouche sur une ode à la liberté, énergique et joyeuse. Un vrai moment de bonheur que la salle bondée, et en grande partie jeune, a ovationné debout pendant de longues minutes.

Micheline Rousselet

Les 10 et 11 février à l’Espace 1789 à Saint Ouen, du 16 mars au 1er avril au Théâtre Gérard Philipe de Saint Denis, du 4 au 22 mai au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris.

La première partie du diptyque Désobéir est en tournée jusqu’en juillet 2022 dont du 31 mai au 4 juin à la Grande Halle de La Villette à Paris et du 15 juin au 2 juillet au Théâtre du Rond-Point à Paris

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