La Marquise est éplorée. Son mari est mort après un mois de mariage et deux ans de l’amour le plus tendre. Son voisin le Chevalier est lui aussi désespéré. Angélique, qu’il aimait, a préféré entrer au couvent pour échapper au mariage avec un autre décidé par son père. La Marquise lui dit « J’aimerais que vous restassiez, nous sommes voisins, nous sommes affligés tous les deux. Vous avez renoncé à l’amour, moi aussi ». Unis par une affliction commune, ils peuvent devenir « amis ». Le mot revient sans cesse, évitant pour l’un comme pour l’autre de parler d’amour. Le combat entre des décisions jugées définitives – qu’ils croient mues par la raison – et les élans du cœur peut alors commencer, d’autant plus vif que s’y mêlent des questions d’ amour propre. La Marquise déclare ainsi « Je ne veux pas me marier, mais je ne veux pas qu’on me refuse ». En parallèle une autre histoire d’amour prend naissance entre Lisette, la suivante de la Marquise, et Lubin, le valet du Chevalier. Leur déclaration est beaucoup plus simple mais pour qu’ils puissent rester ensemble, il faut que leurs maîtres s’accordent. Ils ont tout compris, mais il leur faut travailler à cette union.

La scénographie est simple. Devant une toile peinte avec des arbres évoquant les tableaux du XVIIIème siècle, deux perrons de maisons, celle de la Marquise et celle du Chevalier, se font face avec un bassin au milieu (belle scénographie de Jacques Gabel). C’est dans cet espace que vont dialoguer et disputer les personnages, qui s’avancent parfois en semblant s’adresser directement aux spectateurs.

Chez Marivaux tout passe par une langue éblouissante. Elle se déplie en subtiles variations témoignant des hésitations du cœur face à la raison. Parfois elle plonge dans des raisonnements complexes, voire un galimatias « pour éviter de dire », parfois elle se fait courte et percutante « on aime à soupirer avec ceux qui vous entendent ». Le metteur en scène Alain Françon lui accorde toute son attention. Sous sa direction les acteurs portent une grande attention au rythme et à la ponctuation, ils sculptent littéralement les phrases. Les imparfaits du subjonctif glissent avec une parfaite fluidité. Choisis avec soin, les acteurs portent ces dialogues à la perfection. La mise en scène ne masque pas la violence sociale de l’époque comme lorsque Monsieur Honorius (Rodolphe Congé) le pédant conseiller en lecture de la Marquise se fait chasser par les domestiques moqueurs. En choisissant Alexandre Ruby grand et élégant pour incarner le Comte le metteur en scène évite de faire de cet amoureux éconduit un homme pitoyable. Georgia Scalliet laisse apparaître le va-et-vient de l’humeur et des sentiments de La Marquise. Mélancolique et triste ombre noire glissant au fond du jardin au début, elle finit par s’exaspérer de cet amour qui se cache sous le voile de l’amitié et bouscule un peu le Chevalier (Pierre-François Garel) pour l’amener à dire son amour. Tous deux pensent, s’inquiètent, doutent, protestent, se lamentent, s’énervent, finissent par se rendre à leur désir. Les deux valets, Thomas Blanchard et Suzanne De Baecque apportent la note de fraîcheur et de drôlerie qui régale les spectateurs. On gardera longtemps en mémoire le rire de Lisette et sa voix disant « je ne savais pas que mes yeux enseignassent la rhétorique ». Une mise en scène qui fera date.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 4 décembre au Théâtre de l’Odéon-Berthier, 1 rue André Suares, 75017 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu

En tournée ensuite : 9 au 19 décembre au TNP de Villeurbanne – 20 et 21 janvier au Théâtre Liberté de Toulon – 1er au 5 février au Théâtre Municipal de Caen – 10 au 19 février au Théâtre Montansier de Versailles – du 8 au 12 mars au Théâtre Dijon-Bourgogne – 16 au 18 mars au Théâtre de Colmar – Du 24 mars au 1er avril au Théâtre National de Strasbourg – d’autres dates encore.

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