Le déchaînement des quiproquos et des traits d’esprit de Feydeau sublimés par une mise en scène qui mène le spectateur à un train d’enfer, voilà ce que nous offre cette création de La puce à l’oreille .

Pas d’adultères multiples, même si l’envie est là ! Raymonde Chandebise soupçonne son mari Victor-Emmanuel, directeur d’une grande Compagnie d’Assurances, de la tromper. Elle a ouvert « par mégarde » un colis destiné à son mari. Il contenait ses bretelles renvoyées par l’Hôtel du Minet Galant, de quoi lui mettre « la puce à l’oreille » ! Pour le confondre, elle va lui faire expédier un billet lui donnant rendez-vous à l’hôtel et y envoie son amie Lucienne, dont le mari est un hidalgo fort jaloux. Mais de quiproquos en quiproquos, tout le monde, les couples, le médecin, le cousin, le maître d’hôtel, la cuisinière de Chandebise, s’y retrouve et pour corser l’affaire, le garçon d’hôtel, un benêt alcoolique, s’avère être un sosie parfait de Victor-Emmanuel Chandebise. Les portes claquent, les malentendus se multiplient et le spectateur se réjouit d’autant plus qu’il a toujours un temps d’avance sur les personnages.

Théâtre : La puce à l'oreille
Théâtre : La puce à l’oreille

Lilo Baur a quitté le salon parisien où l’on situe généralement la pièce de Feydeau pour l’installer dans un décor de neige que l’on admire par une large baie vitrée. Un faux feu brûle dans la cheminée et par la fenêtre on voit passer des skieurs et même une fanfare incongrue. On n’est plus à la fin du XIXème siècle mais dans les années 1960, dans Madmen . Les hommes ont des costumes trois pièces marrons ou bleus-gris, les femmes des tailleurs à col de fausse fourrure et des escarpins flashy. Au comique des situations imaginées par Feydeau – les portes qui refusent de s’ouvrir, la tournette qui permet par un simple appui sur un bouton d’escamoter les personnages soupçonnés d’adultère, le cousin affublé d’un défaut d’élocution et les quiproquos liés au sosie – la metteuse en scène ajoute une multitude de petits détails qui font mouche – le coucou qui se déclenche de façon inattendue, le bar-globe terrestre qui fait entendre une musique western dès qu’on l’ouvre pour y prendre une bouteille, les patins que le maître d’hôtel tente d’imposer aux arrivants déjà exaspérés et furieux. Lilo Baur a choisi une mise en scène très cinématographique. On pense aux films burlesques du temps du muet, à Charlie Chaplin ou aux Marx Brothers, à Jacques Tati aussi avec ces portes qui résistent.

La troupe de la Comédie Française déploie une énergie incroyable au service de ce maelström. Ils osent tout, sauter pour enfoncer une porte, arriver comme des forcenés revolver au poing ou traîner une femme par les pieds à travers la scène. Tous sont extraordinaires. Anna Cervinka (Raymonde) et Pauline Clément (Lucienne) sont loin d’être des potiches et, dans leurs petits tailleurs oranges ou turquoises, sont pleines de ressources pour se sortir de situations impossibles. Jérémy Lopez est formidable dans la démesure du mari jaloux, qui se bat contre les portes, se déchaîne sur le ficus en brandissant son revolver. Sébastien Pouderoux est très drôle en beau gosse qui se fait bousculer par la folie générale. Jean Chevalier est un Camille hilarant qui ne peut prononcer que les voyelles. Serge Bagdassarian enfin est un virtuose capable de passer en une seconde de Victor-Emmanuel, directeur d’une compagnie internationale d’assurance, à Poche le garçon d’hôtel alcoolique et simplet. Tandis que le premier disparaît dans l’escalier, l’autre apparaît, épaules tombantes, démarche mal assurée, prêt à se faire rabrouer.

Menée à train d’enfer, la pièce révèle la folie des pièces de Feydeau, et c’est un vrai bonheur.

Micheline Rousselet

En alternance matinées à 14h, soirées à 20h30, jours à vérifier sur le site www.comedie-francaise.fr

Salle Richelieu

Place Colette, 75001 Paris

Réservations : 01 44 58 15 15


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