Au départ il y a un beau texte de Daniel Keene, plein de silences et d’émotion. Une femme, Hanna, est immobile dans un champ. Ce n’est même pas une gare. Des gens sont poussés dans des trains, des tas de trains. Ils lui confient les objets qu’on leur interdit d’emporter et lui demandent de les garder jusqu’à leur retour. Elle ne sait pas où vont les trains mais ce qu’elle sait, c’est que ces gens ne sont pas revenus. Elle a entassé ces objets dans sa maison, qu’ils ont peu à peu emplie. Elle a eu du chagrin pour eux et dit « tout ce que je peux faire c’est me souvenir ».
C’est ce texte poignant que le génial marionnettiste Alexandre Haslé, qui a travaillé plusieurs années avec Ilka Shönbein, a accompagné de ses marionnettes. Quelques paroles, de la musique yiddish, des silences, un éclairage crépusculaire (beau travail de Nicolas Dalban Moreynas) et c’est tous ces gens partis pour un voyage sans retour que font vivre ses marionnettes et ses masques. Parfois elles sont grandes et quand il les attache autour de sa taille, il semble habiter les hommes et les femmes qu’elles incarnent. Ses mains puissantes semblent les leurs. Parfois il fixe un masque au fond d’un chapeau et l’on est bouleversé par le regard de ceux qui partent, d’autres fois encore, ces marionnettes sont si petites qu’on peut les loger dans l’étui d’un violon ou dans un sac à main. C’est tout un monde qui passe devant nos yeux, la vieille dame épuisée, le rabbin avec sa barbe et sa toque de fourrure, le bourgeois parvenu, la jeune fille au parapluie. Les valises dans lesquelles ils emportaient leurs pauvres souvenirs sont là, sur la scène. L’une d’elles, en s’ouvrant, révèle la maison emplie de tous les biens de ceux qui ne reviendront pas. Au milieu de la scène, une paire de chaussures d’enfants, peut-être celles du petit garçon qu’Hanna n’arrivera à évoquer qu’à la fin et qu’aucune marionnette n’incarnera, ne le laissant vivre que dans le souvenir.
Parfois le public adulte a peur du théâtre de marionnettes. Il faut au contraire courir voir ce spectacle plein de poésie et d’émotion dont on sort ébloui et ému aux larmes.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 19h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34
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