C’est à une petite marchande de bonbons de Barcelone que la romancière catalane, Mercè Rodoreda, donne une voix. C’est sur la Place du Diamant où Natalia est allé danser qu’elle a rencontré l’homme qui l’a séduite, a décidé de sa vie et l’a épousée. Il a fait des projets, abandonné son métier de menuisier pour se lancer dans un élevage de pigeons. Le premier jour de la République, en 1936, il a dévalé les escaliers un drapeau à la main et plus tard est parti rejoindre le front républicain où il s’est fait tuer. Celle qu’il avait surnommée Colometa, petite colombe, va être désormais entièrement occupée à tenter de survivre au froid et à la faim avec ses deux petits-enfants. Elle est parfois désespérée au point de penser à la mort pour elle et ses enfants, mais se relève, courageuse et énergique, image des Mère Courage de toutes les guerres.
Dans la mise en scène de Gilles Bouillon, Natalia raconte sa vie à un jeune homme assis qui pourrait être son fils, devenu adulte, ou le fantôme de ce mari perdu trop jeune. Au mur pend une robe blanche sous une housse de cellophane, au sol quelques objets simples, un pigeon de bois, un moule à tarte, quelques planches du grenier d’où son mari avait débarrassé ses affaires pour y installer ses pigeons. La lumière faiblit, un peu de musique se fait entendre et la vie de Natalia s’écoule, passant des jours heureux et de l’excitation de l’amour naissant à la naissance des enfants, des moments drôles à la guerre civile porteuse de mort, de misère, de faim et de désespoir.
Le visage très pâle se détachant de l’obscurité, Martine Pascal, en long manteau noir, qui laisse apparaître un petit morceau d’une robe grenat lorsqu’elle s’assied, est Natalia. Elle dit l’excitation du bal et l’éblouissement ingénu de la petite Colometa devant cet homme qui l’entraîne dans son amour. Elle parle avec simplicité de son ignorance et de sa naïveté. Sans pathos dans la voix, avec une simplicité grave, elle devient la femme qui fait tout pour assurer la survie de ses enfants dans un monde où ce sont les hommes qui commandent : un mari qui décide sans crier gare de partir au front, un employeur qui marchande sur ses gages et la licencie car elle est l’épouse d’un « Rouge ». Droite, digne, la voix égale, la comédienne dit avec simplicité la douleur, le malheur, la fatalité, l’amour de ses enfants qui fait tenir Natalia. On la suit la gorge nouée jusqu’à ce jour où le printemps renaît timidement après la nuit et c’est très beau.
Micheline Rousselet
Lundi, mercredi, vendredi à 20h30, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 17h
Théâtre de l’Atalante
10 place Charles Dullin, 75018 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 46 06 11 90
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