Michèle Harfaut met en scène le récit autobiographique La Place d’Annie Ernaux pour lequel elle a obtenu le prix Renaudot en 1984. Juste après la mort de son père, elle, la transfuge de classe qui s’était éloignée de lui depuis son adolescence, décide de le retrouver à travers l’écriture.

Marie Bucher, qui joue Annie Ernaux, entre en scène pieds nus au milieu de papiers froissés qui débordent d’une poubelle près d’un bureau. Elle veut écrire sur son père mais sans embellir sa vie, sans lyrisme, sans nostalgie, sans romanesque. Elle choisit de noter des phrases simples qui remontent de sa mémoire : les paroles de son père, les souvenirs partagés, l’histoire de sa vie. Sous nos yeux, elle construit le personnage de son père en glissant telle une danseuse d’un objet à un autre : les photos, les disques que ses parents écoutaient, les videos et images projetées, le cheval à bascule, son cahier d’écolière… Comme le dit Jacques Lacan, « Le réel, c’est quand on se cogne ».

On la suit entre attachement, amour, constat lucide et froid, colère et analyse sociologique et politique. Elle évoque avec tendresse ce père gai qui la faisait rire dans son enfance, cet homme d’origine très modeste, garçon de ferme puis ouvrier, qui s’est élevé socialement et est devenu propriétaire d’un café épicerie à Yvetot, sa connaissance de la nature et les loisirs qu’elle partageait avec lui. Puis comment adolescente au parcours scolaire brillant, elle est entrée dans le monde de la petite bourgeoisie ce qui l’a amenée à rejeter son père dont elle trouve les goûts « péquenots ». Elle lui reproche sa façon de s’habiller, son langage incorrect, sa peur constante du jugement des autres, son absence d’opinion. La comédienne dans son expression plastique montre bien que, contrairement à ce que certains ont prétendu, cette colère n’est pas tournée contre son père mais contre le système qui enferme chacun dans sa classe sociale. Comme le dit Annie Ernaux, elle écrit « pour venger sa race », celle des petits, des modestes qui travaillent sans cesse en espérant une promotion sociale, cette « race » que le monde bourgeois ignore et méprise. Pour elle comme pour Edouard Louis, autre transfuge de classe sociale, ainsi que l’écrit Jean Genet : « Écrire c’est le dernier recours quand on a trahi », phrase qu’elle a choisie comme épigraphe.

La mise en scène de Michèle Harfaut et le jeu de Marie Bucher, emprunts de poésie et d’une grande simplicité, rendent compte avec justesse de cet attachement indéfectible d’Annie Ernaux pour son père. A travers le jeu de la comédienne, les mots choisis par Annie Ernaux font mouche.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 30 novembre le jeudi à 21h- Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris 11ème – Réservation : 01 40 09 70 40 ou info@theatrelafleche.fr

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