
François Hien, l’auteur et metteur en scène, a créé avec Nicolas Ligeon la compagnie L’Harmonie Communale qui a porté sur scène plusieurs de ses textes dont La Crèche, Olivier Masson doit-il mourir? etLa Peur. C’est ce dernier texte publié aux éditions Théâtrales et lauréat de l’Aide à la création des textes dramatiques-Artecena et des journées des auteurs de Lyon 2021, qui est mis en scène par Arthur Fourcade et l’auteur, au théâtre de la Tempête. S’inspirant de l’affaire Barbarin, de témoignage de victimes et de la personnalité du prêtre et théologien ouvertement homosexuel James Alison, François Hien aborde la question de l’omerta de l’église sur les agressions sexuelles subies par des enfants et commises par ses membres.
Le père Guérin, joué formidablement par Arthur Fourcade qui nous montre toutes les facettes du personnage, vit chez sa sœur depuis qu’il est privé de paroisse par le cardinal Millot suite à la découverte de sa relation homosexuelle avec son jardinier qu’il a fait venir du Maroc. Auparavant le père Guérin et le cardinal Millot ont reçu en confession le père Grésieux qui leur a avoué ses agissements criminels. Le cardinal Millot, se retranchant derrière le secret de la confession, n’a pas transmis ces faits à la justice. Dans une lettre au juge, le Père Guérin a dénoncé le silence du cardinal. Pour le faire taire, se réfugiant dans le secret de la confession ( la vérité peut être dite mais pas toute entière ), le cardinal Millot lui offre une nouvelle paroisse à condition qu’il se rétracte lors de l’audience. Le prêtre accepte cette compromission tant son ministère lui manque. Mais chaque dimanche, ses fins de messes sont troublées par une des victimes de Grésieux qui dénonce devant les fidèles le silence de leur prêtre. Afin de s’expliquer et de comprendre les motivations de chacun, le père Guérin propose à Morgan (remarquable Mikaël Treguer en alternance avec Pascal Cesari ) de partager ses déjeuners dominicaux.
Avec un talent extraordinaire, l’auteur-metteur en scène nous fait vivre ces échanges sous la forme d’un thriller haletant. Les chemins (de croix ?) de chacun des protagonistes révèlent les fragilités de la nature humaine tout en dénonçant la duplicité de l’institution religieuse dans son fonctionnement même. Avec beaucoup de finesse sont abordées les questions de la foi, du célibat des prêtres, l’homosexualité refoulée dans ce monde d’hommes. La sœur du Père Guérin jouée par Laure Giappiconi en alternance avec Estelle Clément-Bealem souligne dans une belle ironie l’absence des femmes dans une institution enfermée dans ses dogmes et repliée sur elle-même. Comme en politique et dans la guerre, la présence de femmes permettrait de s’ouvrir à l’autre.
Autour de la scène (cène) sont disposés une longue table, deux bancs et deux tabourets sur un sol en damier (on peut y voir un jeu d’échecs qui pourraient figurer celui de l’institution religieuse), une grande toile écrue en tapisse le fond. Les spectateurs placés sur les côtés et face à la scène vont durant deux heures participer sans le moindre ennui aux joutes verbales parfaitement ciselées à la fois graves et non dénuées d’humour de tous les protagonistes. Les flash-backs sont déroulés de façon très claire au cours du récit du prêtre grâce à un presque imperceptible jeu de lumière. On assiste à la transformation du positionnement du père Guérin conduit en cela par l’opiniâtreté fougueuse de Morgan, les conseils avisés de sa sœur au caractère entier et à l’inévitable chute du cardinal. Tous les acteurs sont sublimes et donnent à cette pièce toute la force du texte sans faille de François Hien .
Courez voir cette pièce, un véritable coup de coeur. Un vrai grand moment de théâtre avec un grand T.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 16 février, du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30 – Théâtre de la tempête, Cartoucherie, Route du Champ-de-Manoeuvre, Paris 12ème – Réservations : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr
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