Il y a eu en Europe et dès le Xe siècle de nombreuses versions du conte bien connu « Le Petit Chaperon Rouge ». Des versions très diverses au point que le petit chaperon n’a pas toujours été une fille mais souvent un garçon ou même un jeune homme déguisé en fille… Ce qui rassemble toutes ces déclinaisons d’une même et autre histoire, est sans doute la portée morale, consciente et voulue. Dans tous les cas, il fallait faire peur, au mieux mettre en garde les jeunes filles contre un prédateur sexuel sans crocs ni pattes velues puisqu’il s’agissait de l’homme. Mais du même coup on insinuait qu’une jeune femme ne pouvait être qu’une proie désignée… non par la nature mais par l’ordre machiste voulant se faire passer pour naturel. Certes, dans les versions où la petite fille triomphait du loup seule ou aidée, sauvant ainsi sa virginité, on faisait mine que le féminin pouvait l’emporter… jusqu’au mariage ! La domination masculine était le cadre général induisant que l’exploit d’une jeune fille était surtout de préserver sa virginité afin de la réserver à son mari. Ce cadre est en train de voler en éclats et pas seulement depuis MeToo. L’œuvre d’émancipation des femmes (et des hommes) du patriarcat sexiste n’est pas achevée mais chaque pierre nouvelle apportée à l’édifice est à saluer.

La version inversée du conte par Carole Thibaut est particulièrement remarquable car en plus d’avancer à grand pas sur l’émancipation réelle des petites et grandes filles, elle s’adresse à toutes et tous à partir de 8 ans !

Dans la pièce de cette femme autrice, metteuse en scène, comédienne et directrice du Théâtre des Îlets, CDN de Montluçon, la petite fille dit « non ». À qui ? Pas au loup, car il n’y en a pas dans la Cité Fauré et la forêt ne lui fait pas peur. Elle dit « non » à Lou, un copain pas méchant mais qui pourrait manquer de respect à la mémoire de sa grand-mère. Marie, la petite fille dit « non » à tout un legs masculin, celui des contes comme celui de l’ordre socio-culturel. Elle dit « non » au conte de Perrault qui fait mourir la petite fille ou à celui des frère Grimm qui la délivre par des chasseurs bien virils. La petite fille qui disait non est une nouvelle fable qui règle leur compte à tous les vieux contes. Entre loups et princes charmants, ces discours s’arrangeaient toujours pour assigner les femmes au rôle de soumises dans le cadre d’une domination qui, sous prétexte de protection ne visait qu’à empêcher toute émancipation féminine. C’est là que le « non » de la petite fille joue son rôle ! Son nom aussi car « Marie » est une figure à double sens, elle est selon le mythe chrétien, la mère restée « pure » d’un homme-dieu mais en même temps, si on interprète le mythe de façon athée et féministe, elle donne naissance à une nouvelle éthique de l’amour égalitaire sans être soumise sexuellement à un mâle ! Réécriture, écrit d’un cri subversif et libérateur.

Dans sa mise en scène Carole Thibaut travaille la filiation féminine dans une articulation dialectique. La scénographie de Camille Allain-Dulondel partage le plateau entre domesticité mère/fille et intimité grand-mère/petite fille. Entre les deux un grand tulle spatio-temporel de séparation scénique et de projection vidéo. L’intérieur fonctionnel et monoparental de la mère, une infirmière syndiquée qui court toujours, contraste avec celui chaudement décoré de la mère-grand qui raconte son passé d’actrice et initie la petite fille à une féminine liberté de jugement. Mère et fille de la première génération ont aimé des « loups solitaires » vite repartis dans leur tanière après avoir assuré une descendance strictement « femelle ». Forte du double rapport à sa mère et à sa grand-mère, Marie, troisième génération, ne craint pas Lou et lui donne rendez-vous dans un futur sans proie ni prédateur ; un avenir où Marie, peut-être rouge mais sans capuchon ni chaperon, n’aura pas à être mariée à un mari-maître.

Les trois générations de femmes sont à la scène : Lisa Torres en alternance avec Marie Rousselle-Olivier et Hélène Seretti. Quant au Lou personnage, il est interprété par un louveteau de la jeune troupe des Îlets, Yann Mercier.

Entre art de la scène et conte amoral, le théâtre de Carole Thibaut sait harmoniser poésie et engagement, intimité du récit et enjeux politiques tout en ne cessant de se renouveler formellement.

Bravo !

Jean-Pierre Haddad

Théâtre Public Montreuil, Salle Jean-Pierre Vernant, 10 place Jean Jaurès, 93100 Montreuil. Du 07 au 13 mars 2023. Mardi 14h30, mercredi 15h, jeudi, vendredi et lundi 10h et 14h30, samedi 18h. Relâche dimanche. Informations et réservations : 01 48 70 48 90 & https://theatrepublicmontreuil.com/

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