Le Duc Orsino est amoureux de la Comtesse Olivia, qui ne veut pas sortir du deuil de son frère. Rescapée d’un naufrage, où son frère jumeau Sébastien est sensé avoir été englouti, Viola débarque sur les côtes de l’Illyrie. Déguisée en garçon, elle entre comme page, sous le nom de Cesario, au service du Prince, dont elle s’éprend et qui en fait le messager de son amour auprès de la Comtesse, laquelle tombe amoureuse de celui qu’elle croit être un garçon ! Cette suite de malentendus et de quiproquos se double d’une intrigue secondaire, un complot contre Malvolio, l’intendant bouffi d’orgueil de la comtesse, ourdi par trois personnages : Sir Toby, l’oncle de la comtesse, Sir Andrew, un crétin qu’il voudrait marier à sa nièce et Maria, la soubrette.
Le titre anglais de la pièce – que l’on représente parfois aussi sous son sous-titre, Comme il vous plaira – est La douzième nuit (sous-entendu après Noël), c’est à dire la nuit de l’Épiphanie. Traditionnellement elle s’accompagnait de festivités et de mascarades. Dans la Nuit des Rois, le travestissement est à l’origine de quiproquos et de questions troublantes sur l’identité et sur la confusion des sentiments. Qui est fille et qui est garçon, quelle folie nous saisit quand nous sommes amoureux et nous conduit à faire fi du genre, des différences d’âge ou de condition ?
C’est une adaptation de la pièce de Shakespeare, signée Jude Lucas, que Clément Poirée met en scène. Elle est fidèle à la comédie de Shakespeare et, si elle le modernise, elle conserve le caractère subversif du langage de la pièce. Astucieusement, le metteur en scène a su s’abstraire des changements de lieux prévus dans la pièce. Un rideau bleu de nuit, le bruit du tonnerre et les éclairs, des ombres chinoises qui s’agitent suffisent à évoquer le naufrage originel. Passé cette nuit, nous sommes dans un monde compassé où le comte s’enivre de musique et d’un amour impossible. Le metteur en scène nous transporte dans une sorte de dortoir avec des lits séparés par de légers rideaux blancs que les acteurs tirent ou repoussent. Ils peuvent dévoiler le piano où le duc chante sa mélancolie d’amoureux malheureux ou ouvrir des fenêtres par lesquelles, comme dans un film de Buster Keaton, Sir Andrew tombe avant de reparaître grimpant par une autre, car dans cette comédie deux bandes se croisent, celle des farceurs et celle des amoureux. Clément Poirée n’a pas hésité à jouer du comique des situations, des allusions paillardes, de la farce avec le faux duel ou la méprise dans laquelle s’enfonce le pauvre Malvolio avec son justaucorps jaune et ses jarretières noires croisées. Il a conservé à la musique la place que lui donnait Shakespeare. Elle ouvre la pièce et la clôt avec la chanson du fou, ce fou (excellent Bruno Blairet) qui dit le pouvoir des mots, révèle la folie du monde et dévoile la vérité au milieu d’un flot de paroles souvent confuses.
Tous les acteurs sont remarquables. On retiendra particulièrement Claire Sermonne, la comtesse, éperdue de désir pour Cesario/Viola (Morgane Nairaud). Il faut saluer la performance du trio des farceurs. Eddie Chignara campe un Sir Toby porté sur l’alcool et les soubrettes, Moustafa Benaïbout incarne un Andrew maladroit et stupide digne des acteurs du cinéma muet et Camille Bernon est une Maria maligne et pleine de ressources.
Courez voir cette Nuit des Rois, emmenez-y vos élèves, vous vous en souviendrez longtemps.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
Route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 28 36 36
www.la-tempete.fr
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