Un jour quelque chose a bouleversé Catherine Marnas, directrice du TnBA, le télescopage d’un documentaire vu à la télévision, montrant la richesse obscène et vulgaire des dirigeants d’une société d’investissement avant sa faillite, et l’annonce, toute en retenue, de la ruine d’un cousin agriculteur après une vie toute entière consacrée au travail, un travail fait avec amour. La colère qui l’envahissait l’a renvoyée vers Pasolini dont elle dit qu’il est pour elle « une figure politique obsessionnelle ». Elle a toujours admiré sa clairvoyance lorsqu’il parlait de la liquidation des petites gens, du nivellement des valeurs par la société de consommation et « du fascisme de la normalité ». Elle a alors travaillé avec le philosophe Guillaume Le Blanc sur ce projet qui est devenu La nostalgie du futur.

Théâtre : la nostalgie du futur
Théâtre : la nostalgie du futur

Au début est la mort, un homme se fait tabasser sur scène comme le fut Pasolini, jusqu’à ce qu’il en meure sur une plage d’Ostie. Cette scène se répète à l’écran. On est au plus près de Pasolini, de sa vie et de son œuvre cinématographique. Les acteurs se disputent sur la disparition annoncée par Pasolini dans l’Italie des années 60, des lucioles condamnées par l’éclairage urbain, comme le prolétariat l’est par le triomphe du capitalisme. C’est le monde de Brecht, où il était facile de trancher, où le peuple (celui des prolétaires) n’était pas la masse (celle de la société de consommation), où il y avait un idéal qui n’était pas de s’enrichir en écrasant les autres et où les media n’avaient pas encore répandu leur vision vulgaire, qui disparaît comme les lucioles. Deux exclus traversent l’espace régulièrement, parfois accompagnés par un corbeau, sorti de Des oiseaux petits et gros, tel une ombre de Pasolini. Exclus du travail, mais aussi sans pays, exclus du paysage en quelque sorte, errant dans un univers où tout est à sa place sauf eux, n’ayant comme « chez eux » que la bande de terre entre la mer et l’autoroute auprès des vestiges d’une barque naufragée, ils sont un mélange de Charlot et de Godot, avec la tendresse et la solidarité des héros de Des souris et des hommes. Ainsi va la pièce. A travers des extraits de films et des nombreux entretiens que Pasolini a laissés c’est sa pensée qui se fait entendre.

Les acteurs forment un tout soudé autour des émotions que fait naître la pièce. La scénographie est très belle. Le fond de la scène joue de transparences renvoyant aux films de Pasolini, les couleurs d’une crucifixion peinte par le Caravage tranchant après le noir et blanc de La ricotta. Les moments de rire tels la scène où un jeune homme enrage contre ceux qui répètent que c’était mieux avant alors que sa génération est obligée de « gérer les conneries de toutes les générations d’avant », alternent avec des moments de grande émotion. L’interview que Pasolini a donné quelques heures avant sa mort, restée assez mystérieuse et dont on pense qu’on a camouflé en crime crapuleux un crime politique, est dite en canon par les cinq acteurs, tandis que défile l’image de Pasolini marchant devant les arches fascistes du Palais de la Civilisation italienne.

C’est un spectacle que l’on peut voir même si on ne connaît pas bien l’œuvre de Pasolini. La force de sa révolte, sa poésie rageuse, sa lucidité, sa vision prémonitoire éclatent sur la scène, donnant envie de relire ses textes et revoir ses films. Mais nous disent aussi les acteurs il ne faudrait pas s’enfermer dans une lamentation sur un passé évanoui, « sur la disparition des lucioles » mais plutôt s’attacher à la « nostalgie du futur » pour faire naître de nouvelles lucioles. Un spectacle stimulant !

Micheline Rousselet

Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 19h, relâche le lundi

TnBA-Théâtre du Port de la Lune

Place Renaudel, Bordeaux

Réservations 05 56 33 36 80

En tournée ensuite : du 6 au 10 novembre au Théâtre Olympia, CDN de Tours ; le 14 et 15 mai 2019 Nord-Est Théâtre, CDN de Thionville-Grand Est


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