Cyril Teste est celui de nos metteurs en scène qui mêle avec le plus de virtuosité théâtre et cinéma dans ce qu’il appelle « performance filmique ». Le cinéma n’y apparaît pas comme un simple ornement, une enjolivure mais se révèle un exhausteur de sens. Qui aime Tchekhov nourrissait l’espoir qu’il s’attache un jour à La Mouette. C’est fait et le résultat est à la hauteur des espérances.

Tant de personnages de la pièce sont imprimés dans la mémoire des spectateurs. Arkadina, actrice célèbre qui vieillit mais n’a pas l’intention de renoncer, Trigorine son amant, auteur à succès au style académique, Konstantin Treplev, le fils d’Arkadina qui rêve de révolutionner le théâtre et d’y faire jouer Nina, la jeune fille qui rêve d’être comédienne et dont il est amoureux. Les jeunes feront les frais de l’égoïsme des anciens enfermés dans le confort de leurs certitudes. Nina, comme la mouette tuée gratuitement par un chasseur, sera la victime d’un homme qui par désœuvrement s’intéressera à elle pour mieux la délaisser, quant à Treplev, lorsque le coup de feu retentira, c’est une voix off qui annoncera « Konstantin vient de se tuer ». On pourrait dire que Konstantin meurt de n’avoir pas été aimé par Nina ou pour n’avoir pas réussi à être l’artiste qu’il rêvait de devenir, mais Cyril Teste y ajoute une autre raison. Il meurt de n’avoir pas été aimé comme il le souhaitait par sa mère, trop occupée par sa carrière d’actrice et par le désir d’être toujours admirée et aimée, en dépit du passages des années. La jalousie de Konstantin envers l’amant de sa mère, qui en plus lui enlève Nina, s’en trouve décuplée.

À la recherche de formes nouvelles, dans un décor qui pourrait être celui d’un atelier ou d’un studio de cinéma, le metteur en scène fait naître un paysage mental plein de sons (musique de Nihil Bordures) et d’images tournées en direct ou d’images virtuelles comme celle du lac, ce lac au bord duquel se trouve la datcha du frère d’Arkadina et qui est omniprésent dans la pièce. La scène disparaît pour réapparaître, un personnage échappe au regard pour mieux réapparaître à l’écran, les écrans se multiplient, s’ouvrent, la couleur remplace le noir et blanc. Le personnage de Macha filmée en gros plan en noir et blanc fumant une cigarette semble tout droit sorti d’un film italien des années soixante. L’image s’attache à la peau, semble radiographier les visages pour y saisir les émotions les plus intimes.

Au service de la belle et simple traduction d’Olivier Cadiot, les comédiens ne déclament pas. Ils sont dans la confidence. Face à Vincent Berger incarnant un Trigorine un peu blasé, surtout à l’écoute de ses désirs et de sa gloire, Mathias Labelle campe un Konstantin, blessé par l’indifférence de sa mère pour ses rêves de dramaturge révolutionnant le théâtre conventionnel, désespéré par son impuissance à se faire aimer d’elle tout comme de Nina. Olivia Corsini est une magnifique Arkadina. Elle n’en fait pas une cabotine mais une bonne actrice parlant parfois l’italien (nouvelle référence au cinéma italien des années 60). En représentation permanente, elle refuse de vieillir, veut continuer à être admirée, considérée comme la meilleure et se moque ouvertement des ambitions de son fils. Liza Lapert est Nina, sorte de Jean Seberg aux cheveux blonds et courts, tatouée, fragile, touchante, bouleversante quand elle masque ses rêves fracassés. Aux côtés de ce quatuor magnifique, il faut aussi citer Xavier Maly, Pierre Timaitre et surtout Katia Ferreira qui est une émouvante Macha, abandonnant elle aussi ses rêves d’amour pour se résigner à devenir l’épouse de Dorn (Gérald Weingand) modeste maître d’école, qui l’aime sans être payé en retour.

Une mouette exceptionnelle où le théâtre touche au cœur des émotions : amour, jalousie, trahison, désir de célébrité, désir d’art, espérances et déceptions. Tout y est dans une forme qui éblouit.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 avril au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre –

mardi et mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 15h

Réservations : 01 46 14 70 00 ou nanterre-amandiers.com

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