Écrite en cinq semaines par un jeune homme de 22 ans, deux ans avant sa mort, la pièce fait son entrée au répertoire de la Comédie Française. Georg Büchner se penche sur les cinq jours qui ont précédé la montée à l’échafaud de Danton, de Camille Desmoulins et de leurs amis en avril 1794. Deux groupes s’affrontent sur fond de misère du peuple qui a faim. Danton est las du sang qu’il a contribué à faire couler au nom de la Révolution, il aime les femmes et la vie, pense que le temps de l’indulgence est venu et qu’il faut arrêter les procès révolutionnaires et les exécutions. À l’inverse, Robespierre et Saint-Just jugent que l’indulgence tue la Révolution et que la Terreur, émanation de la Vertu, doit être poursuivie. Dès lors il n’est plus d’amitié qui compte – Desmoulins a été à l’école avec Robespierre et Danton fut son ami – le vice doit être châtié car le vice c’est la trahison. Danton si amoureux des plaisirs ne peut qu’être condamné. Il n’y croit pas, répète « qu’ ils n’oseront pas », n’attaque pas, joue avec la mort. Par paresse, par trop grande confiance en sa popularité et ses talents de tribun ? En fait il ne voit pas que son mode de vie le condamne et que le peuple est prêt à suivre Robespierre.

Simon Delétang offre une mise en scène inspirée au texte de Büchner, dans lequel résonnent presque mot pour mot les phrases prononcées par Danton (« Bourreau n’oublie pas de montrer ma tête au peuple, elle en vaut la peine »). Avant que ne commence la pièce, le rideau de scène porte la phrase de Saint-Just « tous les arts ont produit des merveilles, l’art de gouverner n’a produit que des monstres ». La scénographie nous place dans un élégant salon XVIIIéme siècle avec ses boiseries couleur de miel, son parquet de bois, ses portes moulurées et ses hauts chandeliers. Dans ce décor raffiné un petit médaillon représentant la Méduse du Caravage semble pourtant annoncer cette Révolution violée qui finira par dévorer ses enfants. Au fur et à mesure que le drame se nouera, les bougies s’éteindront, laissant place à la lumière froide de la salle du procès. Des têtes coupées tomberont par une fenêtre et s’accumuleront à terre évoquant la phrase de Danton « Vous voulez du pain, ils vous jettent des têtes ». Ce peuple auquel il s’adresse n’est pas présent sur la scène, mais on l’entend hors champ criant « À mort Danton ». Dans une lumière funèbre, avec en fond de scène une toile représentant La mort de Socrate, la guillotine, dont on entendait seulement le bruit sinistre de la lame de la guillotine s’abattant sur les cous des condamnés, va se dresser hors du sol, devant les condamnés, dont les derniers mots seront, un par un, étouffés par le sac noir que le bourreau fait glisser sur leur tête.

La mise en scène de Simon Delétang jongle entre l’Histoire, avec l’écho des discours politiques qui déferlent, et le drame intime de ces héros, qui s’interrogent sur les options possibles à cette période de la Révolution. Aller au bout des répressions, assassiner les anciens amis devenus ennemis et, pour faire bonne mesure leurs femmes, ou faire une pause et laisser la place à l’indulgence telle est la question historique. Mais la pièce de Büchner est aussi une réflexion sur la destinée humaine, la solitude des êtres et le rapport à l’amour et à la mort. Le drame se noue dès le début avec l’air du commandeur du Don Giovanni de Mozart qui tonne brutalement.

Simon Delétang a confié à deux acteurs, amis dans la vie, les rôles de Danton et de Robespierre. Certes Loïc Corbery n’a pas le physique des portraits de Danton. Il ressemble plutôt au Hamlet qu’il a joué pour Simon Delétang au Théâtre du Peuple à Bussang, mais il donne à ce jouisseur qu’était Danton un côté romantique et désenchanté prêt à affronter la mort qui va très bien au personnage. Clément Hervieu-Léger incarne un Robespierre rigide et froid, d’une grande intransigeance, prêt à couper toutes les têtes pour servir sa cause et ne semblant douter, mais pour si peu de temps, que quand il s’agit de condamner son ami Camille Desmoulins (Gaël Kamilindi). Guillaume Gallienne campe un Saint-Just, ange de la mort terrifiant sous son discours argumenté, encourageant Robespierre à aller au bout de la répression. Toute la troupe de la Comédie française à leurs côtés est brillante.

Un pièce lyrique qui résonne encore aujourd’hui. Certes il n’est plus question de couper des têtes, mais jusqu’où peut-on aller pour défendre une cause ? Cela reste une question d’actualité dans le débat politique surtout à l’heure des réseaux sociaux.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 4 juin à la Comédie Française, Salle Richelieu, Place Colette, 75001 Paris – matinées à 14h, soirées à 20h30, calendrier détaillé sur www.comedie-francaise.fr – Réservations : comedie-francaise.fr ou 01 44 58 15 15

Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu