Années 30. Dans un petit appartement de Saint-Louis (Missouri) vivotent, dans la solitude et la gêne, une mère Amanda et ses deux enfants, Tom, qui travaille dans un entrepôt de chaussures et fuit au cinéma dès qu’il le peut, et Laura, qui souffre d’un léger handicap. Elle est fragile, solitaire et joue avec ses petits animaux de verre pour échapper à la solitude et au désespoir. Leur père, dont le portrait trône sur le mur, a disparu un beau jour et la dernière nouvelle qui reste de lui, c’est une carte envoyée du Golfe du Mexique, avec pour tout message « Hello, good bye » ! Amanda est hantée par ses souvenirs de jeunesse quand elle séduisait de brillants jeunes gens dont certains sont devenus riches. Bourrée de regrets et de principes, elle harcèle ses enfants, sa fille pour qu’elle soit à l’image de ce qu’elle fut et son fils pour qu’il amène un soir un « galant » qui s’éprendrait de Laura. Tom ne la supporte plus et rêve de suivre le chemin de son père. Un soir Tom amène un collègue Jim. La mère a rêvé qu’il serait le « galant » de Laura, mais la soirée se révélera catastrophique et tout redeviendra comme avant. Seul Tom finira par s’échapper de cette prison affective, comme son père avant lui, avec toutefois un remord persistant.

Tennessee Williams, dont cette pièce fut tout de suite un grand succès, dit que rien n’y est réaliste, que la pièce se passe dans la mémoire de Tom et que la mémoire se permet beaucoup de licences poétiques, exagérant ou omettant certains détails.

La scénographie accorde une grande place aux meubles de l’appartement, au lampadaire, au tapis et aux coussins de chintz qu’Amanda a achetés à crédit pour faire bonne figure auprès de Jim qu’elle voit comme le galant tant attendu. Au fond, dans une niche discrète, une petite ménagerie de verre avec une licorne, l’animal préféré de Laura parce qu’elle est différente des autres, comme elle-même l’est aussi. La mise en scène de Philippe Person est très cinématographique. Entre chaque scène, un passage au noir et un ragtime qui fixe l’époque et une phrase écrite au-dessus du plateau comme un titre de chapitre. Tom joue son rôle de fils et de frère mais parfois, appuyé au mur, il soliloque, projeté des années plus tard alors que, bourré de remords, il a quitté cette famille et surtout cette mère qui ne se préoccupe que de la venue d’un galant alors que la crise économique est là et que l’on sent approcher la guerre.

Florence Le Corre est une formidable Amanda, obsédée par le hiatus entre sa situation, l’image qu’elle veut donner et ses souvenirs de l’art de vivre dans le Sud. Elle ressasse ses rancœurs, pointant un doigt vengeur vers le portrait de l’homme qui l’a abandonnée, sans même avoir la force de le nommer. Elle passe de moments où elle houspille ses enfants, parce qu’ils ne s’ajustent pas à l’image qu’elle voudrait offrir d’elle et de sa famille, à des moments où, tourbillonnant dans une robe élégante, elle minaude face à Jim. À ses côtés trois jeunes comédiens issus de l’école du Lucernaire que dirige Philippe Person. Alice Serfati manque un peu de diversité dans son jeu, restant un peu trop sur la Laura timide, écrasée par cette mère qui refuse de voir son handicap et nourrit pour elle des projets qui la dépassent. Les deux garçons sont très bien, Antoine Maabed en Jim prenant conscience au cours de la soirée de la situation et montrant un peu de délicatesse à l’égard de Laura, et Blaise Jouhannaud en Tom, toujours sur le point de fuir.

L’émotion est au rendez-vous de ce classique revisité.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 1er juin au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h30 – Réservations : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr

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