On ne présente plus le livre de Martin Winckler, La maladie de Sachs paru en 1998 chez P.O.L. Roman d’inspiration autobiographique où l’auteur raconte les premières années du médecin Bruno Sachs installé en milieu rural à Play à l’instar du romancier, médecin lui-même qui pris un cabinet après ses études à Joué-l’Abbé dans la Sarthe. Par son sujet, son écriture à vif et ses enjeux sanitaires, sociétaux et éthiques voire philosophiques, le livre fut un énorme succès public, traduit dans pas moins de douze langues. De fait, la médecine est un art universel qui concerne une matière vivante en proie à la maladie, à la souffrance, à la mort : le corps générique de toute l’espèce humaine ! On connaît aussi l’adaptation cinématographique que Michel Deville en fit en 1999 (avec Albert Dupontel dans le rôle de Sachs) mais beaucoup moins celle radiophonique réalisée en 2014 par Jean-Matthieu Zahnd et Pauline Thimonnier pour France Culture. Il y aura désormais l’adaptation théâtrale du roman par Delphine Lefranc qui signe également la mise en scène du spectacle assistée de Marie Lenglet.

Si d’aucuns pensent que c’est un pari osé, qu’ils sachent d’emblée qu’il est parfaitement réussi. Difficile en effet de rendre la densité du roman, sa charge émotive capable à tant de pages de submerger un lecteur seul face aux mots et aux récits de vie que le roman charrie. C’est là que le théâtre peut faire ses preuves. Quoi de mieux qu’un art vivant, langagier, gestuel et sensible, qu’un art de la présence pour faire passer un vécu si dense soit-il et affecter un public présent à quelques mètres ?

D’emblée, l’ambiance est créée par la musique de Sylvain Hellio qui ouvre la pièce par des battements de cœurs insérés dans un musique travaillée de tensions. Ça commence aussi par les voix des patients impatients dans l’ombre, une polyphonie de plaintes et de demandes qui tutoient le médecin encore absent sur scène, c’est la maladie qui crée le médecin… Du coup, elle peut devenir un tyran exigeant, le remède devient poison ! C’est bien ce qui arrive à Sachs, le médecin pas « malgré lui » mais trop bon gré, infiniment empathique avec ses patients, auscultant sans recours au stéthoscope les malheurs physiques et moraux des adolescents, des vieux, des femmes, de tout un chacun. Altruiste par vocation, Sachs est sourd et aveugle à sa propre souffrance. Il ne voit que ses patients qui savent parfois le regarder dans son humanité. On connaît l’ironie du roman : « la maladie de Sachs » n’est pas comme tant d’autres pathologies, une maladie que le docteur Sachs aurait identifiée comme « la maladie de Charcot » ou d’autres, c’est sa maladie à lui ! Sachs parle peu et écoute beaucoup. Le médecin patient est donc malade de trop de patience médicale et aussi de trop de patients. Surmené, il est sur scène submergé, affairé. La mise en scène très judicieuse fait défiler dans son cabinet sommaire une quantité de malades comme dans le roman sans qu’ils soient aussi nombreux mais sous forme d’extraits, d’échantillons et les effets du livre sont non seulement reproduits mais amplifiés par l’art dramatique, présence et proximité des corps, inflexions des voix, rythmes du jeu et nervosité de la gestuelle. Bravo aux comédiens de la Compagnie Vert Bitume, Thomas Ailhaud si pertinent dans le rôle de Sachs et Delphine Lefranc, Mathilde Pous et Julien Donnot qui interprètent chacun avec agilité et vérité plusieurs personnages.

La fonction médicale efface l’homme médecin et malade mais l’amour le redessinera… le guérira. Lecteurs de Winckler (ou pas encore), l’occasion vous est donnée de devenir spectateurs de La maladie de Sachs !

Jean-Pierre Haddad

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris. Du 02 au 25 février 2023, du jeudi au samedi à 21 h. Infos et réservations au 01 42 36 00 02 ou https://www.lesdechargeurs.fr


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