Le destin d’Alan Turing a tout pour émouvoir. Génial mathématicien, il réussit dès 1942 à casser le code secret Enigma, utilisé durant la guerre par l’Allemagne nazie pour ses transmissions. Il permet ainsi aux alliés de remporter certaines victoires. Ses travaux seront à l’origine de la conception des premiers ordinateurs. Contraint au silence par les services secrets britanniques, qui en raison de la Guerre froide ne révéleront sa découverte que quelques années après la guerre, il fut condamné pour homosexualité. Licencié de son poste à l’Université, il préféra la castration chimique à l’emprisonnement, qui l’eut privé de toute possibilité de travail intellectuel, et se suicida en avalant une pomme empoisonnée, ce qui n’est pas sans rappeler un célèbre logo.
Benoit Solès s’est attaché à ce génie visionnaire qui surprenait ou gênait par sa différence. Bègue, solitaire, excellent marathonien, il était tout entier concentré sur ses préoccupations, découvrir « comment la nature était programmée » et si on pouvait concevoir des machines capables de penser, d’apprendre. À travers les équations il cherche la logique du monde. Génial mais aussi fragile, incompris, habitué aux moqueries (mais s’y habitue-t-on ?) pour son comportement insolite et persécuté pour son orientation sexuelle.
Pour évoquer cet homme dont les chiffres étaient le seul refuge, la scénographie utilise la vidéo et la musique. Les équations et les codes d’Enigma, la machine qui hante le cerveau de Turing, s’affichent sur l’écran comme autant d’obsessions, sans oublier le contexte historique de la guerre et les rêves de l’homme passionné par le film Blanche-Neige.
La mise en scène de Tristan Petitgirard nous déplace d’un lieu à l’autre, d’une date à une autre, avec des retours en arrière ce qui nous maintient dans l’attente inquiète de ce qui va advenir. Aux côtés d’Alan Turing interviennent trois autres personnages, son amant Arnold Murray, le sergent enquêteur Mick Ross et le champion d’échecs Hugh Alexander. Tous trois sont interprétés par le même acteur, Amaury de Crayencour. Il les dessine avec précision et en révèle la complexité. L’amant, petit voyou voleur et lâche, apparaît aussi comme une victime de cette société où les inégalités sociales accompagnent le puritanisme. Le champion d’échecs s’avère capable de s’échapper du monde de la compétition pour soutenir Turing. C’est surtout le sergent enquêteur qui sera le plus ébranlé par le génie et la fragilité de Turing.
L’interprétation d’Alan Turing par Benoit Solès est époustouflante. Il bégaie, se ronge les ongles, rit d’un rire forcé, se retranche dans ses calculs et ses questions ou cherche à être compris et aimé. Son regard brille quand il cherche et trouve ou quand il devient amoureux et s’emplit d’une tristesse infinie quand il comprend qu’il est piégé et que jusqu’au bout il sera la victime d’une société puritaine et d’une politique qui a exploité son talent sans le reconnaître. Il est cet homme inadapté aux codes sociaux et pourtant si merveilleux. Il porte tous les espoirs et tous les désespoirs du monde.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 16h
Théâtre Michel
38 rue des Mathurins, 75 008 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 42 65 35 02
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