La langue des cygnes fait signe vers Le Vilain Petit Canard d’Andersen, lequel ne fait donc pas cygnes mais bien signe vers la question éthique du rejet de la différence et même de l’exclusion de celui qui n’est pas dans la norme dominante, donc aussi de celui qui signe pour parler avec les mains. Tiens, tiens, le vilain petit canard pourrait-il être un vilain grand cygne ? Impossible ! La classe des cygnes est majestueuse et ne connaît point de vilains cygnes en son sein. La langue de bois des dominants nous ferait accroire que les tares et les mises à part n’existeraient que chez les classes inférieures, chez les canards, pas chez les cygnes… C’est de ces exclusions, stigmatisations et mystifications dont traite le dernier spectacle de Laurie Cannac pour les dénoncer, rejeter, anéantir, dépasser ; non par un discours véhément mais avec l’infinie subtilité de son art du théâtre d’objet.

En s’adressant au public davantage en langue des signes française qu’en français, la parole même se fait geste, mime, danse des doigts et des mains. User d’une langue muette mais visuelle, d’une minorité invisibilisée, cela signe l’audace et l’engagement. Le paradoxe étant que sans céder à l’esprit de manifeste, tout est dit au moyen d’une poésie de mouvements, costumes, images, sons et lumières. La parfaite réussite de cette Langue des cygnes est d’avoir la grâce et la finesse d’un déplacement de cygnes sur une pièce d’eau lisse comme un miroir.

Tout parle et rien ne tient discours, le spectacle glisse sur la scène avec élégance. Tout fait signe et cygne à commencer par ces grandes plumes déployées en gestes souples. Tout est beauté, sans luxe mais avec volupté et volutes. Le mariage du jeu avec des marionnettes manipulées par Laurie Cannac ainsi que par le danseur et chorégraphe Andy Scott Ngoua avec lequel l’autrice inaugure un duo, crée un univers surréel. Cette charnière ouvre à un troisième langage, celui d’une poésie associant gestes codés et sons articulés en des images insolites et parlant d’elles-mêmes. Tout baigne dans un univers musical merveilleusement travaillé par Adri Sergent et Köba Building. Des sortes d’apparitions fantomales sont proposées par l’art vidéo de Fabien Guillermont. Entrelacs d’effets esthétiques et lac de signes, le spectacle devient une féerie intimiste ou un rêve éveillé qui nous parlent de la valeur éminente de la rencontre, de l’éblouissement du partage, de la sagesse de l’acceptation.

Que dire de plus de l’ineffable splendeur de ce conte revisité d’une façon qui le sublime bien au-delà de tout compte rendu ? Il faut simplement voir le visible et l’invisible, entendre le dit et le non-dit, sentir le sens évident et secret de ce pur chef d’œuvre. Un bijou ciselé par des mains expertes et artistes.

Jean-Pierre Haddad

Le Mouffetard, CNMa, 73 rue Mouffetard, 75005 Paris, du 9 au 22 mars 2023. Du mardi au vendredi à 20 h ; Samedi à 18 h et dimanche à 17 h. Informations et réservations : http://lemouffetard.com/spectacle/la-langue-des-cygnes

Tournée : Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes – Septembre 2023, Charleville-Mézières (08)


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