Tout commence (toujours) par une injonction. Les autres ne peuvent s’empêcher de décider pour nous de Tu viendras au monde à Tu joueras La métamorphose de Kafka en costume de cafard et sur un escabeau à six marches ! Mais voilà, la révolte ça existe et c’est existentiel, ça fait même exister davantage ! Alors finit le cycle pression-dépression, le personnage de La Joie ! (à entendre comme un cri de guerre) balance toutes les injonctions à être ou à devenir, au sérieux ou à la conformité. La pièce est un monologue méditatif et malicieux qui amène son masque déchaussé à décider de se commander lui-même, voire devenir son propre dramaturge, d’accéder à une parole sienne… Et tant pis si ça fait boum ! L’innommé personnage n’hésitera pas à se lancer dans une propagande en faveur de la joie et d’en fonder le parti. Joyeuse propagation pour un mouvement politique antidépresseur, un collectif nécessaire car on sait bien que la joie toute seule… c’est pas la joie! Il faut au minimum la participation des hirondelles dirait Charles Trenet.

Mais il ne suffit pas de vouloir, il faut désirer… Oui, la volonté peut être l’ennemie du désir : il a la force du réel alors qu’elle a la faiblesse de l’idéal. Ce n’est pas si simple de passer de la servitude à la fortitude, des passions tristes à la joie active, de la dépendance à l’affirmation, d’augmenter sa puissance d’agir dans et par la joie que produit la connaissance pour parler comme un certain penseur hollandais du 17e siècle très présent dans la pensée contemporaine. Spinoza est en effet dans les intentions de l’autrice Louise Wailly car la joie spinoziste portée par une intelligence de soi et du monde est un puissant levier éthique d’émancipation dans la joie ; cercle vertueux nous sortant des lamentations défaitistes et des renoncements. Ce que nous montre l’autrice qui signe également la mise en scène, c’est surtout un être qui se débat entre « des pressions » et entraves à devenir soi ; un peu comme s’il était au seuil de l’heureuse réforme spinoziste mais encore retenu par les mauvais plis d’une pensée hétéronome. D’où le jeu tonique, comique, fantasque, alternatif, surprenant, déroutant, hardi et audacieux de Quentin Barbosa qui, prenant tous les risques comme celui de traverser le quatrième mur, réalise une véritable performance théâtrale. Une philosophie de la joie est bien au programme mais comme un appel, la solution à venir et en fin de pièce, une pantomime débridée !

« Et si tout le monde arrêtait de faire ce qu’il ne désire pas faire ? » Sur un plateau de théâtre en chantier et qui ne verra jamais se produire la complète et triste métamorphose de Gregor Samsa en cafard, le comédien se mue en un Hamlet qui aurait clairement choisi d’être… libre et avec fantaisie. Scène laboratoire-libératoire : jouant avec dans les mains non pas un crâne mais la tête coupée d’un possible penseur de la grisaille, le personnage démasqué envoie valser aussi bien les commandements moraux que les vains conseils de développement personnel. Et tant mieux si ça suppose un peu de folie et pas mal de joyeuses bêtises !

Quoi, vous n’avez pas encore votre carte du Parti de la Joie ?

Alors allez-y et « joyez » !

Jean-Pierre Haddad

Off d’Avignon, ARTEPHILE, Bulle de Création Contemporaine, 7 rue du Bourg Neuf. Tous les jours à 19h35. Réservations : 04 90 03 01 90 & https://www.vostickets.net/billet?ID=ARTEPHILE&SPC=17501 Relâche les 13 et 20 juillet.


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