Solaro traverse la vie en cultivant la joie, une joie de tous les instants que rien ne peut éteindre. Au médecin qui lui dit que sa mère n’en a plus que pour quelques jours, il répond « mais aujourd’hui comment elle va ? ». À l’enterrement de sa mère il joue parfaitement le maître de cérémonie sans manifester la moindre émotion. À Louise, son amoureuse qui lui demande de lui faire un enfant, il répond « si tu veux » tout en disant avec franchise qu’il ne pense pas l’aimer. Il n’a rien à reprocher à son ami, le Corse Ange, qui tient des propos antisémites et racistes. Et quand dans une altercation avec un groupe d’Arabes, Ange sort un revolver, c’est Solaro qui, presque par hasard, à cause du soleil, tire sur Redouane et le tue. Au tribunal il reste extérieur à son procès et n’a qu’une envie celle de retourner dans sa cellule.
C’est le roman éponyme de Charles Pépin, philosophe, enseignant, chroniqueur à la radio et à la télévision et romancier, que l’acteur Olivier Ruidavet porte ici à la scène. On y reconnaît la structure de L’étranger de Camus. Comme Meursault, Solaro est un homme indifférent, dénué de remords et d’émotion, un homme qui ne pleure pas à la mort de sa mère, qui fréquente un antisémite notoire, alors que sa mère est juive, et qui tue sans trop savoir pourquoi. Comme Meursault, Solaro semble déconnecté des normes sociales, étranger à sa vie comme à son procès. Mais alors que Camus se servait de Meursault pour illustrer l’absurdité de l’existence et l’angoisse de l’homme face à un monde dépourvu de sens qui valorise la conformité plus que l’authenticité, Charles Pépin fait de Solaro un homme, tout aussi étranger au monde, mais qui en éprouve une joie que rien ne vient contrarier. Il trouve même de la joie à être en prison, à cultiver un potager dans la cour de la prison et s’extasie à la contemplation des fleurs qui éclosent ou du vol des oies sauvages. Solaro est vide, mais joyeux ! Convaincu ou pas, c’est au lecteur, et ici au spectateur, d’en juger.
Sur la scène Olivier Ruidavet est seul devant un drap blanc qui forme un angle droit comme des limites qui entoureraient Solaro, deviendraient chambre d’hôpital, cimetière, parking désert ou tribunal. Seules des lumières bleues ou dorées (création lumière de Carine Gérard) viennent parfois casser le blanc, et des sons et une musique discrète (Haykel Skouri) apportent une touche de vie empreinte d’humour. Le dispositif scénique épuré (Tristan Robin) oblige le spectateur à se concentrer sur ce qui se passe dans la tête de Solaro et à le suivre dans ses rencontres, avec sa mère, avec son amoureuse, avec Ange, avec Rédouane et sa bande et avec les magistrats. Olivier Ruidavet est Solaro, mystérieux, dérangeant. Léger sourire aux lèvres, il semble cultiver sa joie, une joie de l’instant que rien ne peut atteindre.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 12 octobre au Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis Passage Ruelle, 75018 Paris – Mardi, jeudi et samedi, horaires à vérifier sur le site – Réservations : 01 40 05 06 96
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