En 1985 paraissait sous ce titre le premier texte documentaire de Svetlana Alexievitch, couronnée par la suite du Prix Nobel de littérature. Fruit de séries d’entretiens réalisés aux quatre coins de ce qui était encore l’URSS, le livre fut tout de suite un objet de polémiques. Les livres de guerre sont presque toujours des livres écrits par des hommes et pourtant près d’un million de femmes ont combattu en URSS. Or là, Svetlana Alexievitch interrogeait des femmes qui avaient participé à ce que l’on appelle toujours en Russie « la grande guerre patriotique », en les faisant parler, au-delà des exploits militaires, de leur quotidien, de leur vécu de femmes dans la guerre et de leurs émotions.

Julie Deliquet a adapté et mis en scène le texte. La pièce s’ouvre sur un appartement communautaire, avec son accumulation dans un espace restreint de meubles, de vaisselle et de linge pendu. Neuf femmes (Julie André, Astrid Bayiha, Évelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy et Hélène Viviès), qu’interroge Svetlana Alexievitch (Blanche Ripoche) y sont assises. Elles parlent, s’interrompent parfois, rebondissent sur une remarque, chacune apporte sa pierre à l’édifice et de ce chœur sort une image inoubliable de ces femmes dans la guerre. Elles ont été brancardières, pilote, tireuse d’élite, chef d’une pièce de DCA, médecin, agent de renseignements, sergent, ou lieutenant. Comment ont-elles été précipitées dans la guerre, qu’est-ce qui les a poussées à s’engager en dépit des nombreux obstacles ? Elles évoquent les horreurs de la guerre perpétrées par les fascistes, mais très vite elles parlent de l’éducation soviétique, empreinte de patriotisme et de l’idée que les femmes étaient les égales des hommes, qu’elles ont reçue. Très vite aussi apparaît l’idée que « si elles étaient prêtes, elles n’étaient pas préparées » et l’Armée Rouge non plus. Elles évoquent l’impréparation, la faim, le froid, la cruauté des combats, la torture et aussi la terreur qui obligeait à ne jamais reculer sous peine de se faire abattre dans le dos. Et des différences entre elles apparaissent car si certaines en restent au récit patriotique, d’autres évoquent les responsabilités de Staline.

Soudain leur revient la peur qu’elles ont eue de l’après, elles qui étaient parties si jeunes et ne savaient que faire la guerre. Une cigarette, un café partagé une chanson de l’enfance retrouvée et chantée en chœur, un poème d’Anna Akmatova, récité par l’actrice qui incarne Svetlana Alexievitch, et encouragées par une nouvelle question, elles vont accepter de s’enfoncer dans l’intime, parler de leurs rêves de jeunes filles enterrés, de la honte des uniformes trop grands, des règles pour lesquelles rien n’a été prévu pour elles et de la peur des viols par les camarades. Elles vont aussi évoquer les désillusions du retour, où on a attendu d’elles qu’elles redeviennent des femmes ordinaires, qu’elles fassent des enfants tout en nourrissant à leur égard une méfiance certaine.

L’immense mérite de Julie Deliquet est d’avoir porté à la scène la voix de ces femmes qui va au-delà du roman national et soulève toutes les zones d’ombres qu’il cache. Un texte qui résonne d’autant plus lorsqu’on songe à la guerre en Ukraine.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 17 octobre au Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis, 59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis – du lundi au vendredi à 19h30, samedi à 17h, dimanche à 15h, relâche le mardi – Réservations : 01 48 13 70 00 ou reservation@theatregerardphilipe.com

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