Dans une station balnéaire au bord de la Mer Tyrrhénienne un petit monde de vacanciers trompe son ennui par des commérages. Une femme, Calogero di Spelta, en fait particulièrement les frais en raison de sa jalousie maladive dont tous se moquent. Quand on annonce la venue d’un magicien connu, Otto Marvuglia, dont certains vantent les exploits, elle joue les esprits forts et doute avec ironie. Soudoyé par le mari de Calogero, soucieux de s’enfuir quelque temps avec sa maîtresse, le magicien le fait disparaître dans un sarcophage truqué et fait ensuite croire à sa femme que son mari est enfermé dans une boîte qu’il lui remet. À elle de décider si elle l’ouvre, au risque de découvrir son infortune si la boîte est vide.
Dans cette pièce, sa plus célèbre, le Napolitain Eduardo de Filippo, à la fois dramaturge, comédien, metteur en scène et cinéaste, peint une comédie humaine où le mystère se veut métaphore du monde. Pour l’auteur « la vie est un jeu et ce jeu a besoin d’être soutenu par l’illusion ». La grande magie utilise la métaphore fantastique et poétique pour naviguer entre illusion et réalité. Mais attention dit l’auteur « dans cette pièce, l’illusion n’en est pas une. Elle pose en vérité la question de la croyance. La fiction est ce qui produit une nouvelle réalité, l’imagination permet de transcender le réel ».
Emmanuel Demarcy-Mota qui a travaillé sur plusieurs pièces de Pirandello ne pouvait qu’être intéressé par cette pièce où les deux auteurs se rejoignent. Pour Pirandello comme pour De Filippo « l’existence est un étrange jeu de rôles et la réalité n’est rien d’autre que le fruit de notre imaginaire » (E. Demarcy-Mota). Tant que l’épouse n’ouvre pas la boîte, elle peut croire que son mari est toujours fidèle à son amour et s’il revient, elle préfère croire qu’il est toujours dans la boîte. Et cela nous renvoie au théâtre où c’est l’apparence, ce qui est éclairé, qui devient la vérité pour le spectateur.
La mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota joue beaucoup de ces éclairages. On passe de la lumière chaude de la terrasse de l’Hôtel Métropole où bavardent les vacanciers aux ombres mystérieuses qui entourent l’illusionniste. Un plateau tournant permet de jouer des espaces. Autour du magicien (Serge Maggiani très convaincant, ironique et persuasif) et de sa femme (Sandra Faure), de Calogero (Valérie Dashwood, qui passe de l’hystérie jalouse à la croyance absolue) et de son mari (Jauris Casanova) se glissent des personnages aux destins divers, joués par des acteurs qui interprètent plusieurs rôles. On reste peu convaincu par le choix d’inverser les genres par rapport au texte de de Filippo. Chez ce dernier Calogero est un homme et son refus d’ouvrir la boîte à la fin apparaît d’autant plus cohérent qu’il risquerait, si elle est vide, d’y perdre son honneur de mâle. Emmanuel Demarcy-Mota a choisi d’en faire une femme, parce que le jeu de Valérie Dashwood l’avait convaincu dans le travail à la table. Reste alors seulement les craintes d’une femme jalouse, ce qui est beaucoup moins riche que le machisme dont on pouvait apercevoir une critique chez de Filippo.
La découverte d’une pièce peu souvent jouée où, même si la réalité triviale n’est pas absente avec l’évocation de la pauvreté et de l’amertume d’artistes qui ne jouent plus que dans des hôpitaux et des casernes, c’est le pouvoir de l’imagination capable de transcender le réel qui est mis en majesté.
Micheline Rousselet
Du 7 au 23 décembre puis du 3 au 8 janvier 2023 au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, 75008 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 42 74 22 77 ou theatredelaville-paris.com
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