La dernière pièce achevée de Pirandello, On ne sait comment, pourrait se lire comme une banale histoire bourgeoise d’adultère, sauf qu’il en fait une réflexion philosophique sur la responsabilité de l’homme face à ses actes, sur son rapport trouble à la vérité et sur sa capacité à tromper et à dissimuler pour rester dans sa zone de confort. Sommes-nous toujours libres et responsables de nos actes ? Nos fautes deviennent-elles vénielles si nous ne les avons pas voulues et qu’elles arrivent « on ne sait comment » ? Dans la pièce les héros sont prêts à tout inventer pour se tirer d’affaire, quitte à convoquer l’inconscient et les rêves. Cela pourrait être cérébral et ennuyeux mais Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini (aussi metteur en scène) en signent une adaptation drôle, haute en couleur digne des meilleures comédies italiennes des années 60.
Nicola tient un restaurant qui est au bord de la faillite et n’arrive plus à faire face à ses dettes. Même sa cuisinière, quand elle sort avec son mari, va dîner en face chez son concurrent. Un ultime espoir semble s’offrir à Nicola, l’organisation d’un repas de mariage avec cinquante convives. Mais tout manque, les chaises, les assiettes. À coup d’emprunts, de mensonges, de menus larcins il se démène, s’agite, brasse du vent souvent, heureusement aidé par ses deux cuisinières Ginevra et Beatrice. La rumeur court que le mari de Beatrice, Roméo, est subitement devenu fou.
Sur le plateau une cuisine de restaurant avec une grande table, une vaste cuisinière, des casseroles, des louches, des plats, des couteaux et toute l’agitation qui accompagne la préparation du repas de noce. Nicola (Ciro Cesarano) court partout, tentant de fuir ses créanciers et son chien de garde, qui n’est agressif qu’avec lui, transportant des cagettes de légumes et … des tuyaux pour réparer une fuite, bien réelle celle-là. Ginevra (Laetitia Poulalion) et Beatrice (Audrey Saad ou Amélie Manet) épluchent, farcissent, font cuire, tentent de rattraper un gratin brûlé, tandis que Nicola les abreuve de conseils et d’ordres inutiles. Et voilà que pour augmenter le désordre arrive Roméo (Fabio Gorgolini). Il parle d’un crime qu’il a commis autrefois quand il était enfant et d’un autre plus récent. C’est par lui qu’arrivent les grandes questions sur la culpabilité. Une femme est-elle coupable si elle couche avec un homme avant le retour de son mari dont elle se languit ? Pour se dédouaner on se réfugie dans le mensonge ou on relègue ses « fautes » dans la sphère des rêves. Tout cela est arrivé « on ne sait comment ». On se rend compte alors que le mensonge était déjà omniprésent depuis le début. Nicola y est sans cesse contraint pour se sortir de tous les ennuis où il s’est fourré.
C’est toute l’Italie qui est sur le plateau avec cette agitation, ce bruit, l’accent italien délicieux de deux des acteurs. Tous sont très justes, drôles souvent, touchants parfois dans leurs efforts pour se tirer des situations délicates qui renvoient aux problématiques de Pirandello. Et comme le dit ce dernier « il n’y a pas de faute si on ne l’a pas voulu et la nécessité de mentir est une chose admise dans la vie ».
Micheline Rousselet
Le samedi 19 décembre à 21h, diffusion gratuite de la captation du spectacle réalisée au Théâtre 13/Seine pendant le confinement le 27 novembre 2020. A voir sur www.theatre13.com
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