
Léna Brébant a réussi à réduire à à peine deux heures la pièce de Beaumarchais, sans rien perdre de son intrigue complexe et de son écriture brillante. En cette folle journée, Figaro doit épouser Suzanne qu’il adore. Mais le Comte qui s’est lassé de son épouse voudrait bien exercer sur Suzanne le droit de cuissage qu’il vient d’abolir. Marceline prétend aussi épouser Figaro qui lui a signé une promesse de mariage pour le cas où il ne parviendrait pas à rembourser une somme qu’elle lui a prêtée. Pour compliquer le tout il y a aussi Chérubin qui se sent des envies d’aimer toutes les femmes qui passent à sa portée, la comtesse, Suzon, ou Fanchette la fille du jardinier. Mais le fond de la pièce de Beaumarchais, qui lui valut bien des déboires, c’est la dénonciation d’une société injuste où s’exerce la domination des puissants sur les plus faibles et celle des hommes sur les femmes.
La mise en scène de Léna Brébant s’adapte à merveille au rythme échevelé de la pièce avec ses rebondissements et ses quiproquos. Elle fait surgir les comédiens là où on ne les attend pas, de la salle parfois. Au mur, un très grand portrait du comte, main possessive posée sur l’épaule de son épouse, quelques planches dans un coin, « le beau lit que Monseigneur nous donne » dit ironiquement Figaro à Suzanne. Les rapports de domination sont bien en place. Dans le choix des décors la metteuse en scène a souhaité montrer un monde qui se meurt, en attente d’un autre à reconstruire. Ainsi une immense toile de Jouy se déploiera en fond de scène avec une toute petite ouverture tout en haut, la fenêtre par laquelle Chérubin s’échappera et plus tard ce sont des sortes d’échafaudages qui figureront les marronniers sous lesquels se donnent les rendez-vous à la brune. Enfin la metteuse en scène n’hésite pas à créer une connivence avec la salle.
Elle a su surtout réunir une belle distribution au premier rang de laquelle se trouve un Figaro inoubliable, Philippe Torreton. Il en avait rêvé quand il partait à Paris suivre des cours d’art dramatique, l’avait interprété en double de Thierry Hancisse à la Comédie Française où il avait aussi excellé en Scapin. C’est un Figaro malin à la langue bien pendue, astucieux pour échapper aux lourdes manigances du comte Almaviva, coquin, futé, toujours prêt à rebondir, amoureux aussi et grave parfois. Dans sa bouche sous chaque drôlerie se cache la violence des rapports sociaux et à la fin de son merveilleux monologue, quand elle entend « Noblesse, fortune, rang… Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus », la salle éclate sous les applaudissements. Face à lui un duo de femmes qui se complètent. Marie Vialle incarne une Suzanne charmante amoureuse, aussi astucieuse que son promis pour échapper au désir du comte, « libertin par désir, jaloux par orgueil » comme le dit Figaro, tandis que Gretel Delattre campe une comtesse désabusée face à un mari qui la délaisse. Grégoire Oestermann est le comte, sûr de son pouvoir, trônant un moment dans un fauteuil digne d’un prince et qui finit par se faire avoir par ces domestiques malins. En confiant à un homme de haute taille Antoine Prud’homme de la Boussinière le rôle de Chérubin, Léna Brébant rompt avec humour la tradition qui consistait à confier ce rôle à des adolescentes. Enfin c’est à la voix très grave d’Annie Mercier, dans le rôle de Marceline, que revient le monologue le plus féministe de la pièce de Beaumarchais. Tous savent admirablement faire entendre à la fois la drôlerie de la pièce et sa violence.
Bien des aspects de notre société nous rappellent celle que décrit Beaumarchais et le public ne s’y trompe pas. Il applaudit à tout rompre ces comédiens et comédiennes, cette mise en scène et… cet auteur ! Courez-y !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 4 janvier au Théâtre La Scala, 13 bld de Strasbourg, 75010 Paris – Du mercredi au samedi à 21h, le dimanche à 17h – Réservations : 01 40 03 44 30 ou https://lascala-paris.fr
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