Il y a bien longtemps existait une forêt où les hommes et les autres animaux vivaient en harmonie. Un jour une grande tempête, fruit de la cupidité d’un roi fou, se leva et se mit à raser la forêt, rompant l’harmonie originelle et laissant là un temps suspendu. Les hommes étaient pris en tenaille entre un monde qui tardait à mourir et un monde qui tardait à naître : le temps des fins.
Ce texte, inscrit au fond du plateau, introduit la pièce écrite et mise en scène par Guillaume Cayet, qui, en trois époques et en un seul lieu, va croiser les destins d’humains pris dans la tourmente d’un monde condamné à changer s’il ne veut pas mourir.
L’Acte 1 est le temps du deuil. Une dernière chasse réunit les habitants d’un village voisin d’une forêt qui doit être engloutie sous les eaux d’un barrage. On leur a dit que cela créerait des emplois. Ils ne sont pas vraiment dupes. Des emplois payés au SMIC ? On replanterait des arbres à croissance rapide que viendraient couper des Roumains encore plus mal payés ? Et eux deviendraient des rabatteurs pour des chasseurs riches qui viendront tirer sur du gibier élevé de façon industrielle. « Nous ne serons plus des chasseurs-cueilleurs mais des touristes chapardeurs ». Cette première partie prend la forme d’un récit admirablement dit par Vincent Dissez, passant du politique au poétique avec l’apparition d’un grand tétra aux ailes noires tachetées de petites miettes bleues et un chasseur qui se plonge dans le corps d’un sanglier pour, une dernière fois, appartenir à cette forêt.
La seconde partie nous emmène dans une ZAD qui s’est installée dans la forêt pour empêcher son engloutissement. Le récit laisse place à un récit dialogué où les débats sur les objectifs poursuivis par les zadistes côtoient les moments plus poétiques, ceux de l’harmonie avec la nature et les animaux. Nous sommes trois ans plus tard et le rêve de ceux qui, parés de masques d’animaux, affirment « Nous ne défendons pas le bois, nous sommes le bois qui se défend » va mourir sous les coups des « hommes-ferrailles
La troisième partie, toute en dialogues, nous plonge dans la cuisine d’une famille d’aujourd’hui où seule l’image sur le mur d’un grand cerf majestueux rappelle la forêt disparue. La fille adolescente, Stéphanie, s’inquiète de la catastrophe environnementale à venir, d’autant plus qu’une tempête dévastatrice, Gloria est annoncée. Elle reproche à ses parents de n’avoir rien fait et se réfugie dans sa chambre pour communiquer sur internet avec un mystérieux Simorgh. Le père, d’abord plus préoccupé par la fin du mois que par la fin du monde, cherche ensuite la solution chez les survivalistes tandis que la mère fait confiance à une secte. Ce sont les deux jeunes gens qui vont se lancer dans l’action.
Dans sa défense de la cause environnementale, Guillaume Cayet, lui-même élevé près de Bures dans la Meuse, où a été autorisé un site d’enfouissement de déchets nucléaires très contesté, n’oublie pas qu’il est « plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ». Il évite la pédagogie et illustre les idées dans des situations où le politique s’enlace au poétique. La scénographie de Cécile Léna est somptueuse. Dans les deux premières parties, la forêt, où les personnages et leurs masques (Judith Dubois) semblent échappés d’un conte ou d’un cauchemar, revêt toutes les couleurs, de l’automne à la nuit et au feu, avant que la dernière partie nous ramène brutalement dans le réel et n’évoque des solutions.
La pièce est portée par trois comédiens, Vincent Dissez, Marie-Sohna Condé et Mathilde Weil qui passent d’une époque à l’autre, d’un style à l’autre avec fluidité. Ils sont magnifiques.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 19 octobre à Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta, 75020 Paris – du lundi au mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 18h – réservations : 01 42 55 55 50 ou resa@theatreouvert.com – En tournée ensuite : 13 et 14 novembre au Théâtre du Point du Jour à Lyon, 3 au 6 décembre au Théâtre de La manufacture à Nancy, 10 décembre à l’ABC à Bar-Le-Duc, 24 janvier 2025 au Centre Culturel de la Ricamarie, 29 et 30 janvier 2025 au Théâtre des Ilets à Montluçon, 11 et 12 février 2025 à la Scène nationale de l’Essonne, 4 avril à l’Espace 1789 à Saint-Ouen, du 12 au 17 mai au Théâtre de la Cité internationale
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