Théâtre : la fin de l'homme rouge

Quand on a été pionnier puis komsomol en Union Soviétique, que l’on ait ou non rêvé de démocratie et de liberté, comment vit-on le capitalisme sauvage qui s’est installé après la chute du Mur ? La Biélorusse Svetlana Alexievitch, qui vient de recevoir le Prix Nobel de littérature, s’était lancée, dans son pays et en Russie, stylo et magnéto en main, à la rencontre d’hommes et de femmes, de tous âges et de tous milieux sociaux, ayant vécu ou non l’époque soviétique, dont un certain nombre rêvaient de liberté et tous confrontés à un capitalisme brutal. De ces entretiens, elle avait fait la matière magnifique d’un livre au titre percutant publié en français en 2013. De son travail elle disait : « Je regarde le monde avec les yeux d’une littéraire et non d’une historienne ». Elle ne pose pas de questions sur le socialisme mais, en parlant des petites choses de la vie tout doucement, ce sont les émotions qui émergent. Elle exprime les contradictions, les souffrances des hommes, la nostalgie d’un monde qui proclamait vouloir construire un homme nouveau et les désillusions à la mesure de ce que furent les espérances.

Théâtre : la fin de l'homme rouge
Théâtre : la fin de l’homme rouge

C’est ce livre que Stéphanie Loïk, qui s’est souvent intéressé au théâtre documentaire, a choisi d’adapter et de mettre en scène avec sept jeunes acteurs issus d’Écoles supérieures de théâtre et une jeune actrice formée à Saint-Pétersbourg. Ces jeunes gens n’interprètent pas ces Russes, ils nous les donnent à entendre. C’est une sorte de requiem qui nous est proposé. Les acteurs, tous vêtus de noir, marchent et leurs voix forment une polyphonie, se répondent, les bras se lèvent parfois, les mains se nouent, ils se soutiennent. Dès le début une femme s’avance et dit : « Nous sommes en train de faire nos adieux à l’époque soviétique, à cette vie qui a été la nôtre ». Il y a des moments où les mains couvrent les yeux pour conserver un aveuglement protecteur et des moments où la lucidité est presque insupportable. Il y a le groupe qui marche puis l’un d’eux s’avance, tel un coryphée pour conter une de ces histoires du quotidien. Les récits se succèdent et c’est le peuple russe que l’on écoute, sa douleur, la fidélité de certains aux idéaux révolutionnaires en dépit des déportations de masse, la difficulté à accepter de n’être plus au cœur d’un Empire et à vivre libres, le désarroi des poètes face à un monde où ne compte plus que l’argent. Comme le dit l’un des personnages : « Personne ne nous a enseigné la liberté, on a seulement appris à mourir pour elle ». Des chansons chantées en russe a capella, façon chœur de l’Armée Rouge ou ballade traditionnelle, une chanson de Vissotsky en français apportent une respiration aux récits.
Le texte est magnifique, l’émotion est palpable dans la salle suspendue aux lèvres des acteurs et quand le groupe se soude à la fin, dans la pénombre, avec des éclairages qui découpent des ombres, rappelant les photos en noir et blanc tandis que s’élève l’Internationale, les spectateurs retiennent leur souffle avant d’applaudir.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 17 octobre à 19h30, relâche dimanche et lundi
Anis Gras/Le lieu de l’autre
55 avenue Laplace, 94110 Arcueil
Réservations : 01 49 12 03 29
Du 4 novembre au 7 décembre, lundi, mercredi, vendredi à 20h30, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 17h
L’Atalante
10 place Charles Dullin, 75018 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 46 06 11 90

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