Sylvia aime Arlequin qui l’aime aussi. Mais le Prince, séduit par la fraîcheur de la jeune paysanne, en tombe amoureux, la fait enlever et enfermer dans son palais où il entend s’en faire aimer. Face à sa résistance, il envoie sa conseillère Flaminia à la conquête d’Arlequin, tandis que lui déguisé en officier tente de séduire Sylvia. Les jeunes amants se laisseront à la fin convaincre par leurs nobles et riches prétendants. Leur double inconstance permettra une fin heureuse mais Marivaux met dans ces joutes amoureuses une richesse d’émotions et de rapports sociaux qui séduit toujours les spectateurs.

Jean-Michel Rabeux en présente une version un peu raccourcie qui lui permet de s’attacher aux deux thèmes qui lui paraissent centraux dans la pièce, la question de l’amour et celle des rapports de classes. Au XVIII siècle, où s’épanouit le libertinage, Marivaux remet en cause l’idée de l’éternité de l’amour. Sylvia regrette que le Prince soit venu alors qu’elle s’était déjà promise à Arlequin et Flaminia déclare que l’on peut aimer deux hommes. On est parfois bien près de Choderlos de Laclos. Il y a dans les dialogues du Prince et de Flaminia tentant de trouver le moyen de détacher Sylvia et Arlequin un écho de ceux de Madame de Merteuil et du Vicomte de Valmont. Comme eux ils sont cruels et égoïstes. Les rapports de classe sont aussi au cœur de la pièce avec d’un côté la Cour, où puissants et riches ont les moyens d’assouvir leurs désirs et de l’autre ces jeunes paysans, qui semblent aux nobles d’une nature extravagante puisqu’ils refusent, tout au moins au début, de sacrifier leur amour à la promesse de richesses et de faveurs.

Théâtre : La double inconstance
Théâtre : La double inconstance

Jean-Michel Rabeux s’est régalé de toutes les manipulations qui abondent dans la pièce. En faisant jouer le Prince par une femme, Claude Degliame, il insiste sur la sensibilité du Prince, qui semble prêt à renoncer à Sylvia quand Arlequin expose sa faiblesse face au pouvoir du Prince et rappelle que lui n’a que l’amour de sa belle et que ce serait une grande injustice que de la lui voler. Il use aussi des costumes soit pour évoquer l’ambiguïté des sexes, l’officier du Palais Trivelin est en jupe et en escarpins, soit pour évoquer la proximité de classes, Sylvia et Arlequin ont le même tee-shirt et un pantalon pour lui et un short pour elle de la même couleur.

Les mises en scène de Jean-Michel Rabeux ne sont jamais tièdes. C’est aussi le cas ici et sa façon de respecter le comique et l’érotisme de la pièce aiguise l’esprit du spectateur. Quand Arlequin se laisse aller à ses sentiments pour Flaminia et l’embrasse avec fougue, elle se plie et se tord, comme réduite à se laisser aller aussi. Quand Sylvia arrive vêtue de la robe que lui a offert le Prince c’est avec un tutu et une perruque rouge sang qu’elle apparaît. Les personnages évoluent dans un décor de palais palladien (très belle réalisation de Noémie Goudal) où des enfilades d’arcs de pierre préservent le mystère des entrées et sorties et le regard des puissants qui observent à l’abri des arcades.

Les acteurs se prêtent avec talent à la duplicité de leurs personnages. On retiendra surtout Roxane Kasperski, une Flaminia vibrante qui pense tout contrôler en organisant la séduction d’Arlequin pour le séparer de Sylvia et se retrouve prise au piège de ses sentiments. Claude Degliame incarne un Prince qui semble un peu cynique, mais se laisse attendrir par le plaidoyer d’Arlequin au point d’ hésiter sur ses sentiments. Hugo Dillon est un Arlequin plein de dignité quand il rejette les propositions sonnantes et trébuchantes du Prince en échange de l’abandon de Sylvia, plein d’émotion lorsqu’il appelle le Prince à ne pas le priver de l’amour de Sylvia mais qui finit par se laisser gagner par le goût du pouvoir. Aurélia Arto est la coquette Lisette, la sœur de Flaminia. Perchée sur de très hauts talons, arborant des tenues sexy, elle apporte une note comique tout à fait bienvenue. Morgane Arbez enfin est Sylvia. Boudeuse, elle se veut d’abord invisible, capuche sur la tête pour échapper à ce prince qui veut l’obliger à l’aimer, elle se pique au jeu de l’amour pour ce bel officier sous les habits duquel se cache le prince et, comme une enfant contrariée, tape du pied en se rebellant contre les élans de son cœur. Tous portent avec force le texte de Marivaux et en font ressortir l’actualité. L’amour doit-il être exclusif ? Les puissants peuvent user de leur richesse et de leur autorité pour convaincre, mais il arrive qu’ils se brûlent les ailes car il n’y a pas chez Marivaux autant de noirceur que chez Choderlos de Laclos. Au final c’est la raison du cœur qui l’emporte. Mais de cela Jean-Michel Rabeux n’est pas tout à fait sûr, ce dont témoigne la pirouette finale !

Micheline Rousselet

Du lundi au samedi à 20h, le dimanche à 15h30, relâche le mardi

Théâtre Gérard Philipe

59 Bld Jules Guesde, 93200 Saint Denis

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 48 13 70 00


Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu