Le Prince fait enlever Sylvia, une jeune paysanne qu’il veut épouser. Mais Sylvia aime Arlequin et ne veut pas se soumettre à la volonté du Prince. Celui-ci ne veut pas la contraindre mais la convaincre. Robes, mets délicieux, traitements délicats doivent y parvenir. Il faut surtout éloigner Arlequin du cœur de Sylvia. Flaminia, la conseillère du Prince, envoie sa sœur Lisette pour séduire Arlequin, mais devant son échec, c’est elle qui s’en charge. Rusée et subtile elle va jouer le jeu de l’amitié avec Sylvia et séduire Arlequin, qui lui plaît. Comme dit le metteur en scène, Adel Hakim, « chez Marivaux, il n’y a pas d’assassinats ou de viols explicites, les sujets doivent se plier avec leur propre consentement. » Ce sont tous les stratagèmes mis en place pour convaincre l’autre qui font le cœur de la pièce, révélant avec subtilité les moyens divers et variés par lesquels les puissants assurent leur domination sans avoir besoin de recourir à la force.
Pour Adel Hakim, les sociétés néolibérales d’aujourd’hui ont de nouveaux moyens pour séduire les jeunes rebelles. Elles orientent leur désir vers des objets de consommation et les convainquent qu’ils trouveront le bonheur grâce à la société de consommation. Tant pis s’ils y perdent leur innocence, leur spontanéité et l’énergie de la jeunesse. Le metteur en scène fait de Sylvia et Arlequin des jeunes des cités, elle avec son parler rapide et ses gestes brusques et Arlequin avec son jogging et son petit bonnet. Tous deux se révoltent contre leur séquestration avec violence. Mais la stratégie mise en œuvre par Flaminia, sur inspiration du Prince, fera de Sylvia une jeune femme à l’élégance stricte, aux cheveux lissés, amoureuse du Prince. Quant à Arlequin, s’il lui reste des traces du voyou d’origine, il porte beau avec son costume et renonce à Sylvia pour Flaminia.
La scénographie se met au service des grands thèmes de la pièce. Dans la première partie sensualité, séduction et contrainte sont illustrées par des grands panneaux reproduisant des tableaux comme l’enlèvement des Sabines ou les harems de Delacroix, qui ferment l’espace. Dans la seconde partie c’est le désir et la fête qui dominent, le décor fait place aux Picasso sur le thème du faune. Dans la dernière partie, les puissants ont gagné, les sujets semblent libres, l’espace est ouvert sur un quartier d’affaires la nuit, qui se déploie autour d’un grand lit. La chanson du Parrain accompagne cette dernière partie, à la fois constat de la transformation d’Arlequin en arriviste prêt à tout et clin d’œil à la troupe italienne pour laquelle Marivaux a écrit la pièce.
Jade Herbulot est une Sylvia éblouissante. Elle parle vite, s’exalte, s’emporte, se transforme en tigresse puis perd peu à peu sa violence, mais aussi son innocence et sa sincérité, pour entrer dans le monde des puissants. Tout son corps dit cette transformation. Mounir Margoun campe un Arlequin qui suit la même trajectoire, exprime son dédain du luxe superflu avant de succomber à l’attrait de la bonne chère et à la séduction de Flaminia. Tous deux éclatent d’une force et d’une jeunesse que le Prince (Frédéric Cherboeuf) et Flaminia (excellente Irina Solano) sauront soumettre. Tous nous font entendre à merveille la langue de Marivaux. On ne manque pas un mot de cette comédie douce-amère et on sort en se demandant si vraiment tout finit bien et si le bonheur les attend. « Nessuno sa la veritá » dit la chanson du Parrain !
Micheline Rousselet
Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h, le jeudi à 19h, le dimanche à 16h
Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
1 rue Simone Dereure, 94200 Ivry
Réservations : 01 43 90 11 11
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