Peu montée, la pièce d’Ibsen fait son entrée à la Comédie Française. Mélangeant réalisme, lyrisme et surnaturel, elle a un côté un peu désuet avec ce marin qui émerge des brumes du passé mais a aussi un côté très moderne en défendant le libre-arbitre, en particulier celui des femmes, et en annonçant avant l’heure la psychanalyse.
Ellida, fille d’un gardien de phare a épousé un homme plus âgé qu’elle, le docteur Wangel, père de deux adolescentes nées de son premier mariage, dont l’une est à peine plus jeune qu’elle. Cet été, Ellida semble être devenue étrangère à ceux qui l’entourent, son mari et ses deux belles-filles et part chaque jour nager de longues heures dans le fjord voisin. Plein d’amour et d’inquiétude, son mari invite le professeur Arnholm en espérant qu’il parviendra à apaiser l’état dépressif d’Ellida. Celle-ci semble perdue, rongée par la culpabilité. Elle a autrefois aimé un marin étranger, l’a laissé lancer à la mer leurs deux anneaux pour sceller leur union mais, restée seule après son départ, elle a épousé Wangel. Lorsque ce marin réapparaît, il lui demande de partir avec lui. Son mari sait que l’obliger à rester ne la sortirait pas de la dépression et lui laisse le choix. Parallèlement le professeur Arnholm tisse sa toile auprès de Bolette, la fille aînée de Wangel. Elle voudrait qu’il l’aide à quitter ce fjord où elle se sent enfermée. Elle rêve d’ailleurs, de faire des études, mais sait que son père, très amoureux d’une femme qui s’éloigne de lui, a besoin d’elle. Elle aussi devra faire un choix.
Géraldine Martineau signe ici sa seconde mise en scène à la Comédie Française après La petite sirène pour laquelle elle avait reçu le Molière de la mise en scène jeune public. La scénographie crée une atmosphère onirique et mystérieuse. Des canapés, des fleurs étalées créent l’atmosphère d’un salon tranquille, mais la présence de l’eau, une « eau flasque » qui semble tout engluer, et une barque nous entraînent dans les brumes de la mer du Nord et les tourments de l’âme.
Géraldine Martineau se montre une bonne directrice d’acteurs. Elle-même joue une Ellida en friche, qui se laisse envahir par la dépression et ne sait plus si elle a fait le bon choix, tiraillée entre d’une part son amour d’autrefois et la parole qu’elle a rompu, et d’autre part son mari qu’elle ne parvient plus à aimer. Face à elle Laurent Stocker avec finesse et douceur incarne Wangel, ce mari qui veut aider sa femme et finalement, à l’encontre de son éducation patriarcale, lui laissera la décision de choisir. Benjamin Lavernhe apporte une touche d’humour dans le rôle du professeur Arnholm qui oublie sa mission auprès d’Ellida pour se consacrer au cas de Bolette. Elisa Erka incarne bien toute la complexité de Bolette, son souci d’obéir à son devoir, veiller sur son père et sa sœur, mais aussi son désir de partir pour étudier et, au final, sa résignation à un sort qui évoque celui de sa belle-mère, se marier avec un homme qui l’aidera à s’émanciper. Alain Lenglet incarne le peintre qui semble observer tout ce petit théâtre et Clément Bresson ce marin émergeant de la brume pour emmener Ellida. Léa Lopez la petite sœur de Bolette qui rêve d’une belle-mère plus aimante et Adrien Simion, le jeune homme malade, complètent la distribution.
Une belle mise en scène pour une pièce peu connue, plaidoyer émouvant en honneur du libre-arbitre, imprégnée de psychanalyse, avant même son invention, et qui donne toute leur place aux femmes.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 12 mars à la Comédie Française-Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris – à 20h30 du mercredi au samedi, à 19h les mardis et 15h les dimanches – Réservations : 01 44 58 15 15 ou comedie-francaise.fr
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