
Louis et Gabriel, jeunes diplômés arrogants d’une école de commerce, assassinent gratuitement Antoine, un de leurs anciens condisciples, qu’ils ont toujours regardé avec condescendance le jugeant moins brillant qu’eux. Alors qu’ils se sont investis dans la banque et la finance, Antoine a choisi une carrière dans l’humanitaire et comble de banalité s’est fiancé. Ils mettent son corps dans un coffre au milieu du salon, installent dessus un buffet et attendent les autres invités de la soirée, la fiancée d’Antoine, leur voisin un serrurier Francis, qu’ils caseraient bien avec cette fiancée qu’ils méprisent, la mère de Louis qui affiche bien haut son origine bourgeoise et leur ancien professeur de philosophie Émile Cadell réputé très intelligent, cultivé et perspicace. A coups de répliques mordantes, de manipulations diverses, un jeu du chat et de la souris, plein d’une ironie macabre peut se déployer.
Lilou Fogli et Julien Lambroschini ont adapté la pièce de Patrick Hamilton, rendue mythique par le film éponyme d’Alfred Hitchcock. Ils l’ont déplacée des années 20 aux années 50, ce qui fait ressortir ce qu’elle a de toujours actuel : le mépris de classe, l’arrogance de ceux qui sont nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, non seulement à l’égard des milieux populaires, mais aussi à l’égard d’intellectuels qui pourraient leur faire de l’ombre.
La scénographie nous place dans un salon bourgeois encombré de quelques cartons, puisque Louis et Gabriel sont sur le départ vers la Suisse où ils continueront leur brillante carrière. Deux fauteuils, un meuble de rangement et un grand coffre. Un rideau à l’avant-scène permet à Louis et Gabriel quelques apartés. Un peu de musique complète l’ambiance. Cela démarre très vite, en moins d’un quart d’heure le meurtre est accompli. Le spectateur connaît la victime, les assassins et leur mobile.
Guy-Pierre Couleau a magnifié ce huis-clos où sont pris au piège les protagonistes. Antoine d’abord, venu un peu à contrecœur, mais qui ne pouvait imaginer ce qui l’attendait, les invités et surtout les deux assassins qui se pensant invincibles se lancent dans un jeu pervers et un défi sordide allant jusqu’à placer le coffre au centre de la pièce. Dans ce décor parfait à la Agatha Christie, le professeur va faire son chemin vers la vérité. La morale sera sauve mais à quel prix.
Les acteurs sont tous très convaincants : Audran Cattin est Louis, à l’arrogance folle qui joue à s’approcher le plus possible du danger, Thomas Ribière est Gabriel son complice, plus nerveux mais tout aussi abject, Lucie Boujenah incarne la fiancée, si loin de leur monde qu’elle ne peut comprendre ni leurs allusions, ni leur manège pour la jeter dans les bras de Francis le serrurier (Martin Karmann qui incarne aussi Antoine). Dans ce huis-clos étouffant Grégori Derangère en incarnant le professeur Émile Gadell apporte le recul, la réflexion, un humour calme … et des références philosophiques sur le libre-arbitre. Et puis il y a la merveilleuse Myriam Boyer, en bourgeoise fière de sa classe et de son fils, qui attend de l’invité qu’elle juge inférieur, le serrurier, qu’il la serve et qui se révèle terriblement mesquine dans son attachement au service de table qu’elle a confié à son fils.
Le délice d’une comédie policière, qui ne s’arrête pas à la résolution d’une énigme mais met à nu les rapports de classe et où la raison finit par l’emporter sur le machiavélisme de monstres qui se croient tout puissants.
Micheline Rousselet
À partir du 24 septembre au Studio Marigny, Carré Marigny, 75008 Paris – du mercredi au samedi à 21h, les dimanches à 15h – Réservations : theatremarigny.fr
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