James veut savoir ce qui s’est passé dans un hôtel de Leeds entre sa femme styliste, Stella, et un créateur de mode, Bill, à l’occasion d’un voyage de travail. Il va frapper à la porte de Bill, qui vit avec Harry dans un quartier huppé de Londres, tandis que lui vit dans un quartier bohème chic de la même ville. C’est Stella qui a raconté son aventure à son mari. Mais s’est-il vraiment passé quelque chose entre eux et quoi ?
Admirablement traduite par Olivier Cadiot, cette pièce de Harold Pinter, Prix Nobel de Littérature en 2005, s’inscrit dans le cycle qu’il a appelé Comédies de la menace. Des récits contradictoires se succèdent, se superposent rendant indémêlables le vrai du faux, même sur des détails aussi accessoires que les olives qui devraient être présentes pour accueillir des invités ! On croit être dans une histoire de couple où la jalousie de l’homme le pousse à chercher à savoir, mais c’est un puzzle bien plus complexe qui se révèle. Des rapports de force brutaux surgissent dans une conversation qui démarre de façon banale, révélant, derrière une politesse de façade, de la noirceur, de la jalousie, des désirs réprimés et, moins attendu, un mépris de classe qui s’exprime avec crudité. Des situations où l’absurde frôle la bouffonnerie s’installent, imprévisibles, laissant le spectateur perplexe, voire un peu inquiet.
Ludovic Lagarde a décidé de réunir au Théâtre de l’Atelier La collection et L’amant comme elles l’avaient été en 1965 pour leur création en France par Claude Régy. Harold Pinter avait conçu ces deux pièces pour être des scénarios de films et on retrouve l’esprit du montage cinématographique dans l’enchaînement des scènes. Sur le plateau, côte à côte, on a l’appartement de James et Stella avec son canapé et la maison de Harry qui abrite Bill. James et Harry passent de l’un à l’autre au gré de mystérieux coups de téléphone. Le metteur en scène réussit à créer une atmosphère oppressante, portée par ces conversations dont Pinter disait « ce que nous entendons est une perturbation de ce que nous n’entendons pas ».
Dans ces dialogues qui basculent, où l’ambiguïté et l’ironie sont reines, les quatre acteurs choisis par Ludovic Lagarde sont exceptionnels. Valérie Dashwood, merveille d’opacité enveloppée dans une opulente et sensuelle fourrure, laisse sourdre le mystère derrière la conversation du quotidien. Autour d’elle trois hommes et d’abord son mari Laurent Poitrenaux, tout aussi insaisissable. Cherchant la vérité ? Mais il en avance une dès le début ! Jaloux et menaçant ? Peut-être, mais rien n’est jamais sûr ! Et puis il y a le couple Harry et Bill. Mathieu Amalric incarne un Harry, dont on sent qu’il est sûr de sa position sociale, même s’il arrive éméché dès la première scène. Subtilement dès le début il se place en position de dominant face à Bill, avant de dire crûment à James qu’il l’a sorti de la zone, qu’il n’est « qu’une limace de la zone ». Micha Lescot incarne génialement Bill, longues jambes étalées dans une position nonchalante, sur qui semblent glisser les pointes que distille Mathieu Amalric. Il est fuyant, ne nie pas mais retourne avec un humour imparable les arguments laissant soupçonner qu’une autre explication serait possible. Harold Pinter disait l’importance qu’il accordait aux silences, « derrière lesquels si on écoute bien on entend le mensonge » et ces trois acteurs les manient avec un talent exceptionnel.
Une redécouverte de cette pièce de Pinter magnifiée par une traduction piquante, une mise en scène qui en exalte l’humour et le mystère et un quatuor d’acteurs dont on peut dire qu’ils sont géniaux.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 25 juin au Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, 75018 Paris – du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h – Réservations : 01 46 06 49 24 ou theatre-atelier.com – Noter que le Théâtre de l’Atelier présentera à 19h L’amant à partir du 3 juin
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