Il n’est pas fréquent d’évoquer ici le théâtre populaire, non pas celui de Jean Vilar mais celui de boulevard. Comme quoi il y a bien des sens de « populaire » et bien sûr de multiples publics de théâtre comme en politique il y a plusieurs « peuples » dont les deux plus connus sont « le peuple de gauche » et celui « de droite » !

Le nouveau spectacle de Fred Radix qui s’était illustré dans Le Siffleur en 2013 (650e représentation en 2021 et traduit en anglais et en espagnol) traite d’un sujet d’histoire du théâtre, la claque. Non il ne s’agit pas du soufflet, cette gifle qui peut prêter à rire chez Molière ou conduire Rodrigue au duel dans Corneille, mais de ces applaudissements commandés visant à assurer le succès d’une pièce. Cette pratique remonte à Néron qui récitait ses poèmes en public avec une claque de cinq mille soldats mais c’est au 19e siècle qu’elle est devenue en France une sorte d’institution avec un chef de claque, des catégories comme les « rieurs », les « pleureurs », les « chatouilleurs » ou encore les « bisseurs » et parfois même des répétitions sans oublier la rémunération des claqueurs ou les chantages à huer un spectacle. La Comédie-Française y mit fin en 1902 mais on oublie qu’elle persiste dans une forme très caricaturale sur certains plateaux de télévision, dans les émissions publiques de talk-shows ou encore dans les sitcoms où les applaudissements enregistrés peuvent finir par énerver les téléspectateurs… N’est-il pas stupide de vouloir faire une claque à distance et pour un public de salon, absolument pas enclin à applaudir devant sa télé ? Vaine tentative de rendre vivant un spectacle « mort » par définition puisqu’il s’agit d’images sur un écran ! 

Avec intelligence et audace, Fred Radix a conçu tout un spectacle musical sur la claque, plus exactement sur une séance de répétition d’une claque devant soutenir une tragédie bouffonne dont on aura que des bribes. Accompagné de deux compères talentueux, Guillaume Collignon en chef de claque débordé et Alice Noureux en accordéoniste de service et princesse remplaçante, Fred Radix toujours aussi bienveillant que charismatique transforme la salle comble du Théâtre de la Gaité Montparnasse en claque improvisée mais enthousiaste. Ce Radix irradie, une bête de scène doublée d’un concepteur et metteur en scène de spectacles populaires inspiré et efficace. Il faut aussi saluer en lui un certain génie de l’interactivité déjà attesté dans Le Siffleur : il sait parfaitement entrainer le public et le diriger au doigt et à l’œil avec sa complicité et pour son plus grand bonheur ! Sans oublier la dimension musicale et didactique de ses pièces. Dans la salle, tous jouent le jeu et de sept à soixante-dix-sept ans on applaudit allègrement dès le début du spectacle et tout au long en appliquant les conseils et suivant scrupuleusement les consignes. On rit aussi beaucoup et c’est tout naturellement qu’à la fin de La claque, le public comblé en offre une généreuse au trio d’acteurs mené par Radix dans une ovation debout – applaudissements mérités qui ne doivent rien à ceux appris et participatifs qui accompagnent toute la pièce. Le tour de force de Radix est non seulement de faire applaudir la salle d’entrée de jeu mais de faire qu’au final le public s’applaudisse aussi lui-même!  

Oserais-je alors vous conseiller vivement d’aller en famille ou entre copains-copines découvrir et applaudir Fred Radix et (tous) ses complices ? Bien évidemment oui, car j’en étais de ce public désireux de passer un bon moment, public qui se lâche le temps d’une soirée et quitte la salle, vidé mais heureux. Heureux car vidé de ses soucis et libéré de l’atmosphère anxiogène qui est la nôtre en ces temps troubles de guerre en Europe, de dérèglement climatique, d’inflation économique et de tensions politiques. Depuis Aristote, on sait que le théâtre tient lieu de catharsis. Il peut être aussi, sans jeu de mot, pure gaité, un simple divertissement sans prendre ce terme au sens du moralisme triste et dévot de Pascal.

La claque… Et si la critique théâtrale n’en était qu’un avatar sophistiqué?

Jean-Pierre Haddad

Théâtre de la Gaité Montparnasse, 26 rue de la Gaité, 75014 Paris. Jusqu’au 28 mars, les dimanches à 20 h., les lundis et mardis à 20h30. Informations (dont les relâches) et réservations : 01 43 20 60 56 et https://gaite.com/spectacles/la-claque/ En tournée dans de nombreuses villes jusqu’en avril 2023 (consulter le site). 

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