En 2012, suite à une proposition du Théâtre du Nord où elle s’était formée, Tiphaine Raffier écrit, met en scène et joue sa première pièce La chanson. À ce moment Val d’Europe une ville nouvelle, où s’était installé Disney, prenait son essor. Elle y avait grandi. À la différence des premières villes nouvelles à l’architecture moderniste, celle-ci était conçue comme une imitation des cités de la vieille Europe, avec places florentines et immeubles haussmanniens. En écho de cette ville artificielle où tout est copie, Tiphaine Raffier raconte l’histoire de trois jeunes filles qui y répètent un spectacle de sosies d’Abba, le groupe disco suédois célèbre dans les années 70.
S’attachant à cette idée de copie et comme depuis 2018 le groupe Abba a réenregistré un album et que leurs hologrammes se chargent des concerts, Tiphaine Raffier a repris sa pièce et en a fait La chanson (reboot). Barbara, Pauline et Jessica trois jeunes filles, qui ont grandi dans notre société de la consommation et du divertissement, répètent les chorégraphies d’Abba en vue d’un concours des sosies organisé dans leur ville. Barbara et Jessica sont vendeuses chez Nature et Découvertes, tandis que Pauline, qui a hérité d’un petit pactole, se cherche. Barbara est l’organisatrice autoritaire des répétitions, Jessica la suit avec application, alors que Pauline commence à douter et cultive une envie d’expérimentation artistique, au risque de faire dérailler leur amitié. Elle n’arrive pas à convaincre ses amies d’accepter de l’écouter quelques minutes avant leurs répétitions. Il faut dire que ses créations, parlées plus que chantées, sont surprenantes, s’attachant à détailler les aspects techniques de produits de consommation tout juste nés, comme le walkman, le cadre photo-numérique ou la cigarette électronique ! Elle n’échappe pas à la société de consommation et on sourit en se rappelant que la chanson d’Abba, qu’elles avaient choisie, s’intitulait S.O.S ! Et après ? L’autrice et metteuse en scène dessine en quelques mots et avec une ironie décapante cet avenir.
Le plateau devient un gymnase d’où les trois jeunes filles aperçoivent, disent-elles, le château de la Belle au Bois Dormant du parc d’attraction et où elles répètent avec un rituel immuable la chanson d’Abba et sa chorégraphie. Une fois par mois elles s’accordent un répit en buvant un verre ensemble en répétant, là encore, les mêmes gestes. Sur le mur du fond s’affichent leurs noms, les paroles absurdes des créations de Pauline, la vidéo délirante du chant de l’oiseau-lyre qui l’inspirera pour ses créations. Les trois actrices, Clémentine Billy, Jeanne Bonenfant et Candice Bouchet entrent avec un sérieux du plus haut comique dans cette histoire.
Sur le ton du burlesque Tiphaine Raffier révèle ce qu’il y a de toc et d’artificiel dans ce travail pour être de parfaits sosies d’Abba, tout comme l’est la ville de Val d’Europe conçue pour être une copie des villes anciennes d’Europe. Elle dénonce ainsi ce qu’ont de destructeur pour la création les habitudes trop bien ancrées. Un bel exercice de déconstruction stimulant et très drôle !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 15 avril à la MC 93 (présenté avec le Théâtre Nanterre-Amandiers), 9 bd Lénine, 93000 Bobigny – horaires différents selon les jours – Réservations : 01 41 60 72 72 ou mc93.com
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