Dans sa série des portraits de femmes, après Milena Jesenska, Anaïs Nin, Rosa Luxembourg, Adèle et Léopoldine Hugo, c’est à Marie Curie que s’attache Filip Forgeau. D’elle on croit tout connaître, son enfance polonaise, ses études brillantes, ses deux prix Nobel, en physique et en chimie, son mariage avec Pierre Curie, leur travail en commun dans un lieu qui tenait plus d’un hangar à pommes de terres que de l’image que l’on se fait généralement d’un laboratoire, la mort accidentelle de Pierre, écrasé par une voiture à cheval, qui la laissera veuve avec deux petites filles. On oublie parfois qu’elle s’engagea aussi sur les lignes de front pendant la guerre de 1914-1918 avec les « Petites Curies », des véhicules de tourisme équipés d’appareils de radiologie permettant d’éviter le transport des blessés et de les opérer de façon plus précise grâce aux radios réalisées. Mais la focale de Filip Forgeau ne se fixe pas que sur la force de cette femme que l’on a souvent présentée comme austère, une femme qui réussit à briser les préjugés sexistes et fut la première à obtenir le prix Nobel dans une discipline scientifique. Il s’attache à dépasser le personnage célèbre et à montrer la femme qu’elle fut, amoureuse de Pierre avec qui elle partageait ses nuits mais aussi les longues journées de travail au laboratoire et l’exaltation des découvertes, ses angoisses et son chagrin après la mort de son mari.
La mise en scène de Filip Forgeau se met, dans des éclairages crépusculaires, au service du dialogue d’outre-tombe entre Marie et Pierre. Sa mort frappe Marie comme un coup de tonnerre et il est là, étendu comme dans un cauchemar. Elle le caresse, lui murmure « chante-moi une berceuse ou dis-moi un poème », dit la beauté des découvertes qu’ils partageaient et aussi le manque et le chagrin après sa mort. Même s’il n’y a que deux acteurs et que Marie occupe davantage l’espace, Des passages au noir permettent de traverser les moments, les lieux, Marie est devant le micro pour son discours pour le Nobel, parle des « Petites Curie », parle à Pierre qui est toujours auprès d’elle. Le texte évoque les visages qui s’effacent, « la mémoire qui tremble », « les mots qu’il faudrait toujours prononcer comme s’ils étaient les derniers ». Jean-Michel Fête incarne avec délicatesse un Pierre qui disparaît dans les ténèbres, libérant Marie (« aime autant que tu peux aimer ») et la retenant à la fois (« tu viens ?»). Soizic Gourvil, l’interprète fétiche de Filip Forgeau, révèle une Marie Curie qui réussit à mener de pair une carrière scientifique exceptionnelle, et qui met autant de passion dans ses travaux scientifiques que dans son amour pour Pierre. Elle est remarquable.
Micheline Rousselet
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L’Épée de Bois
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