Dernière pièce de Tchekhov, terminée trois mois avant sa mort, La Cerisaie s’inspire de ses souvenirs puisqu’il était lui-même petit-fils de serf et que sa maison d’enfance a été rachetée, pour être rasée, par un riche homme d’affaires.
Après cinq années passées à Paris, une propriétaire terrienne Lioubov revient, avec son frère et sa fille Ania, dans la maison de leur enfance qu’elle avait fuie après la mort de son mari et la noyade de son jeune garçon. Elle y retrouve sa fille adoptive, Varia, et les domestiques, mais Lioubov est désormais ruinée. À l’automne la Cerisaie devra être vendue. Un marchand Lopakhine, que Lioubov connaît depuis l’enfance puisque son père était serf sur le domaine, propose de la racheter. Il rasera la maison et les cerisiers pour construire des datchas pour les touristes, ce à quoi Lioubov ne peut se résoudre.
La pièce dépeint cet entre-deux qui signe la fin d’une époque, celle d’une aristocratie oisive, entourée de parasites auxquels elle ne sait résister, qui voudrait que rien ne change et l’avènement d’un monde où les nouveaux riches, comme Lopakhine que Lioubov méprise, imposent les changements. Entre ces deux mondes certains jeunes veulent le changement, répètent « il faut travailler » tout en s’installant dans un statut d’éternel étudiant, philosophant et ne faisant rien.
Clément Hervieu-Léger résolument fidèle à la simplicité du texte de Tchekhov a choisi la traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan pleine de vie. Comme les souvenirs affleurent au contact du lieu, il fait commencer et se terminer la pièce dans la chambre d’enfant qui fut celle de Lioubov et son frère puis de ses enfants. Pour La Cerisaie, la scénographe Aurélie Maestre a construit une sorte de maison de poupée en bois rappelant une datcha. Tantôt chambre avec ses meubles d’enfants et les tableaux au mur (entre autres ce si beau portrait d’enfant de la Collection Morozov), tantôt extérieur lorsque se déploie une toile peinte représentant un paysage qui s’assombrit quand grondent les orages de la fin de l’été et de celle d’une époque. La maison s’ouvrira sur un salon aux couleurs chaudes lors du bal donné tandis que se déroule la vente du domaine. Seule Lioubov s’inquiète tandis que la maisonnée danse et se distrait espérant un miracle qui résoudrait tout.
On entre bien dans la pièce, bruit du train dans le lointain qui ramène Lioubov tandis que Varia et la domestique s’agitent et s’impatientent. L’arrivée des voyageurs symbolise tout de suite les places dans cette maison avec Lioubov qui sans s’inquiéter de l’heure réclame du café et Varia qui voudrait qu’on puisse enfin se coucher. Le final par contre est moins convaincant. Le vieux domestique qui a refusé de quitter le domaine lors de l’abolition du servage, se retrouve oublié quand tous quittent la Cerisaie. Le faire s’allonger sur un banc ne donne pas à cette scène toute la cruauté qu’elle devrait avoir.
De la distribution, un peu inégale, on retient surtout Florence Viala et Loïc Corbery. La première incarne superbement une Lioubov, prisonnière de sa classe, n’écoutant ostensiblement pas ce que propose Lopakhine, incapable de changer son mode de vie et d’écouter les remontrances de sa fille adoptive, qui tente de l’empêcher de distribuer son argent à tout va. Insouciante mais si touchante dans son attachement à cette maison qui abrite tant de souvenirs. Loïc Corbery joue avec finesse Lopakhine, échappant à la caricature de nouveau riche que l’on colle parfois au personnage. Il résiste aux petites piques de mépris que lui envoie parfois Lioubov. Lorsqu’il vient annoncer à la fin du bal qu’il est le nouveau propriétaire de la Cerisaie, ce n’est pas seulement la revanche du fils de serf que l’on entend dans ses éclats, c’est aussi la douleur face à ce monde qui court à sa perte.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 6 février à la Comédie Française, Salle Richelieu – Place Colette, 75001 Paris – Soirées à 20h30, matinées à 14h – Réservations : 01 44 58 15 15 ou www.comedie-francaise.fr
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