Il y eut le cinéma muet auquel succéda le cinéma parlant. Mais le théâtre ? Oui monsieur, le théâtre ? Au théâtre on parle. Dieu merci, on ne fait que cela. Chez Molière on parle. Chez Racine aussi. Chez Corneille, chez Shakespeare, on déclame mais on parle toujours. Les pièces de ces auteurs ont du sens. Elles nous parlent. Mais dans le théâtre d’ Eugène Ionesco (1909-1994), né en Roumanie et devenu français après la guerre, on parle très souvent pour ne rien dire.
Première pièce de Ionesco, écrite en 1950, cette anti-pièce, comme il l’a désignée, a pour titre La cantatrice chauve . Pourquoi ce titre ? C’est parce qu’il n’y a pas de cantatrice et qu’elle n’est pas chauve. CQFD. C’était beau mais c’était absurde et cela n’a pas empêché Ionesco d’être élu à l’Académie française en 1970.
La Cantatrice chauve puisque c’est son nom, la pièce a failli s’appeler « l’anglais sans peine », est donc une non pièce qui réunit six personnages, même pas en quête d’auteur, comme il se devrait au théâtre ! Il y a les Smith, Monsieur et Madame, Mary leur bonne, les Martin, Monsieur et Madame, des visiteurs et enfin, ne nous pressons pas, il n’y a pas le feu, le capitaine des pompiers. Il y a 11 scènes qui se succèdent cette fois très classiquement mais 11, dois-je le rappeler est un entier impair. C’est bizarre !
Que se passe-t-il ? Rien. Ou pas grand-chose. Mais on échange des propos avec des mots et des expressions tirées de quelque manuel du genre à 6000 ! On papote. On dit des riens sur tout et tout sur rien. Les mots fonctionnent à vide. Par exemple, comme on entend sonner à la porte, Monsieur Smith dit : « la plupart du temps, quand on entend sonner à la porte, c’est qu’il y a quelqu’un . » Profond ! Il y a débat. Le pompier conclut : « Je vais vous mettre d’accord. Vous avez un peu raison tous les deux. Lorsqu’on sonne à la porte, des fois il y a quelqu’un, d’autres fois il n’y a personne. ». Analyse et synthèse. Et un peu plus tard, Mme Martin : « mais je pense qu’une bonne, en somme, bien que cela ne me regarde pas, n’est jamais qu’une bonne …..» Elle ne finit pas sa phrase. Pourtant elle avait le temps !
Tout est drôle, très drôle, et admirablement interprété par six comédiens magnifiques. Avec leurs visages blancs et leurs habits noirs (sauf la bonne vêtue de rose), les six comédiens de la compagnie Cybèle, Laura Marin, Alexis Rocamora, Taos Sonzogni, Jean-Nicolas Gaitte, Nelle Darmouni et Guillaume Benoit, incarnent à merveille les personnages de la pièce. Ils sont parfois d’une politesse très british, parfois très impolis. Ils sont souvent de mauvaise foi et se comportent en raisonneurs. La diction et les gestes sont parfaits. La mise en scène d’Alexis Rocamora sert merveilleusement la pièce de Ionesco et fera certainement date, comme en son temps celle de Jean-Luc Lagarce.
La pièce fit scandale à sa création, tellement que, le 13 mai 1950, le critique du journal Le Figaro a écrit : « Pourtant, cette anti-pièce commençait bien. On riait mais cinq minutes peuvent-elles excuser une heure d’ennui ? ». Aujourd’hui, l’absurde ne fait plus peur. On y est habitué. Profitez de cette pièce et de l’interprétation qu’en donne la Compagnie Cybèle pour aller la voir et l’entendre. Le rire et le plaisir sont garantis pendant une heure. Et, si vous faites un petit effort, vous y puiserez peut-être de quoi réfléchir un peu sur notre société qui va ….. assez mal !
Michel Rousselet
Du mardi au samedi à 18h30, le dimanche à 16h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34
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