Richard, médecin, et sa femme Corinne ont quitté Londres pour s’installer à la campagne dans un coin calme et tranquille. Mais un soir Richard ramène une jeune fille qu’il dit avoir trouvée inconsciente sur le bord de la route. Qui est-elle, où sont ses affaires, pourquoi Richard l’a-t-il ramenée chez lui et qui est ce Morris qui ne cesse d’appeler au téléphone ?
Tout paraît étrange et inquiétant. Que s’est-il passé avant la venue du couple à la campagne ? Qui est cette mystérieuse jeune fille ? Que font dans son sac, dont Richard a nié l’avoir trouvé, des seringues ? Corinne ne cesse de poser des questions, fouille et se heurte aux mensonges successifs de Richard. Pourquoi lorsque Corinne demande à Richard de l’embrasser, répond-il toujours qu’il l’a déjà fait ?
Pour sa dernière création au Théâtre de Sartrouville, dont il était le directeur jusqu’à Janvier 2023, Sylvain Maurice a choisi de mettre en scène cette pièce de Martin Crimp, un auteur qu’il apprécie beaucoup. Sous la configuration classique du trio, avec une touche de « polar » qui se marierait à une « tragédie domestique », se cachent chez Martin Crimp une peinture de l’aliénation dans le couple, des rapports de perversité et de cruauté qui s’y développent, avec en arrière plan une critique sociale et politique. Quand Rebecca, la jeune fille ramassée sur la route par Richard se met à parler elle est tout de suite en conflit avec Corinne ? Différence de classe sociale ou autre chose ? Quel médecin est vraiment Richard, quelle est sa relation à ce Morris qui ne cesse de téléphoner ? Il y a des enfants qui dorment quelque part dans la maison, mais leurs parents semblent en avoir confié la responsabilité à une baby-sitter que Corinne s’obstine à vouloir considérer comme une amie alors que Richard a bien compris qu’elle avait besoin d’argent. Toutes les lectures sont possibles, d’autant plus que Rebecca disparaît au milieu de la pièce sans que quiconque ne fasse mine de s’en inquiéter. Reste un couple dont on n’est sûr que d’une chose, ils ne s’aiment plus et lui en tous cas, ne fait même plus semblant. Outre ces thèmes, ce qui a séduit Sylvain Maurice, c’est la langue de Martin Crimp, sa musicalité. Corinne ne cesse de poser des questions et les réponses ouvrent sur des abîmes. Tout tourne mal. Comme elle, le spectateur se sent piégé, pris de vertige, perdu.
On est dans un salon où il n’y aurait qu’une très grande table. Signe qu’on est à la campagne ou taille qui souligne l’éloignement social et affectif ? Le plateau est dans l’ombre, la pièce se place à la nuit tombée, le couple se trouve piégé dans un huis-clos et ce qui ressort de l’environnement évoqué n’est pas une campagne calme et apaisante, mais une pierre qui pourrait renvoyer à la mort des sentiments. Sylvain Maurice a surtout réuni une distribution formidable. Isabelle Carré est au sommet de son art pour incarner Corinne. Enfantine en train de découper des motifs dans du papier, n’hésitant pas à poser les questions qui sème le trouble ou piégée dans son image du couple, elle est fascinante de liberté et d’insolence. Yannick Choirat est parfait dans son rôle de mari faible, fuyard, menteur. Manon Clavel se révèle dans le rôle de Rebecca, libre et insolente comme Corinne mais menteuse et fuyante comme Richard.
Une campagne engluée dans les secrets et la glaciation des sentiments.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 22 janvier au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris – du mardi au samedi à 21h, le dimanche 8 janvier à 15h30, les 15 et 22 janvier à 18h30, relâches les lundis et le 12 janvier – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr
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