Sur scène un orchestre et deux clans qui s’affrontent, celui de Peachum, patron de « L’ami du mendiant », capable d’inventer des slogans susceptibles d’attendrir les cœurs les plus endurcis et celui des voleurs, mené par Mack qui a séduit la fille de Peachum, Polly, au grand dam de son père. Entre les deux, des flics corrompus et des putains amoureuses et traîtresses.
Joan Mompart, acteur et metteur en scène suisse s’était illustré dans la mise en scène d’une pièce de Dario Fo qui avait eu beaucoup de succès, On ne paie pas, on ne paie pas . Il s’est attaché cette fois à la pièce de Bertold Brecht, évoquant l’urgence à parler aujourd’hui de ceux qui broyés par la machine économique se retrouvent hors système, en marge de la légalité. La pièce de Brecht parle des questions de notre temps, politiques, sociales et économiques : exploitation, criminalité organisée, misère, mendicité, charity business, gouvernement déconnecté du peuple et qui, de temps en temps, lui balance une carotte pour le calmer. On trouve dans la pièce des phrases qui résonnent bien aujourd’hui : « qu’est-ce qu’un passe-partout comparé à une action de société anonyme ? Qu’est-ce que le cambriolage d’une banque comparé à la fondation d’une banque ? » Pour parler de ces questions, Brecht nous place dans un univers de fantaisie, de carnaval et nous rappelle que quand on est poussé hors de la société, il n’est pas surprenant que l’on bascule dans l’amoralité. Enfin l’opéra de quat’sous est probablement la pièce de Brecht dont les songs sont les plus célèbres. À la fois divertissants et didactiques, ils créent un climat d’illusions et de revendications et donnent aux personnages une forte dignité.
Joan Mompart se montre d’une grande fidélité au théâtre de Brecht, tant au niveau du fond que de la forme. Les musiciens sont au plateau. Le décor est placé sur une tournette, dominé par l’orchestre. Les mécanismes de la représentation sont bien visibles. Les codes du théâtre classique et de l’opéra sont détournés, le héraut du roi arrive sur un balai de bois à tête de cheval, les titres des songs apparaissent écrits sur des cartons. Des lettres lumineuses annoncent la morale affichée : « Donnez et il vous sera donné » mais le désordre règne dans les mots mettant à mal le message ! On est bien dans l’esprit de Brecht, on rit, on est interpellé, on ne peut pas s’identifier aux héros et on est contraint de réfléchir. On ne sort pas la conscience tranquille, satisfait d’avoir vu le pauvre absout par le Prince, on en sort diverti, mais surtout plus lucide sur la société telle qu’elle est.
Il faut aussi souligner la qualité des acteurs-chanteurs. Ils sont huit incarnant plus de vingt personnages et se tirent très bien des songs. On notera particulièrement François Nadin en Mackie qui passe de la tenue de gangster flamboyante à la tenue orange du prisonnier et est impressionnant quand il chante La ballade de merci , adaptation par Brecht de La ballade des pendus de François Villon. Charlotte Filou est une Polly déçue par sa fête de mariage qui devient impitoyable en chantant avec force la ballade de Jenny des corsaires . Carine Barbey enfin est une belle Jenny.
C’est une réussite, l’occasion de faire connaître aux élèves cette pièce et de leur faire méditer la conclusion : « Les messagers du roi ne se dérangent pas pour les opprimés. Gardez-vous bien de jeter la pierre aux opprimés. Ce monde est dur, il y fait sombre et froid. Pensez à ceux dont la vie entière est faite de sang, de larmes et d’effroi ».
Micheline Rousselet
Mardi et vendredi à 20h30, mercredi, jeudi et samedi à 19h30, le dimanche à 16h
Théâtre 71
3 place du 11 novembre, 92240 Malakoff
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 55 48 91 00
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